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De l’art des échecs

Writer's picture: Alcor ConseilsAlcor Conseils

Updated: Oct 8, 2024




Je n’avais plus joué aux échecs depuis longtemps. J’ai redécouvert ce fameux "casse-tête" de soixante-quatre cases à l’occasion du premier confinement. C’était à la fois beaucoup plus difficile que dans mon lointain souvenir (mais mon adversaire était brillant !), et beaucoup plus captivant. La légende de son invention offrait d’ailleurs un début prometteur. On dit que ce jeu d’origine indienne visait à inculquer à un jeune prince l’idée qu’un roi ne peut rien sans ses sujets. Mais c’est surtout l’examen des raisons du succès ou de l’échec de l’un ou l’autre camp qui m’a intéressé. Voici quelques-uns de ses préceptes.

- Premièrement, il faut se focaliser sur le seul objectif qui vaille : mettre le roi en échec. Tout le reste est temps perdu, or, « dans l’univers des échecs, le temps est inexorable » (V. Nabokov). Prendre ou défendre des pièces n’offre aucun avantage en soi et nous disperse en vain, laissant l’initiative à l’adversaire.

- Deuxièmement, il n’y a pas d’issue favorable sans offensive et la prise de risque qui s’ensuit. On ne peut pas gagner sur la défensive, quoiqu’elle nous semble préférable et sage au moment où nous craignons de commettre une erreur parce que nous bouleversons l’ordinaire. « Aux échecs, le génie consiste à savoir transgresser les règles au moment opportun », dit R. Teichmann. C’est compliqué, c’est stressant, mais c’est incontournable.

- Troisièmement, celui qui peut accroître la complexité du jeu prend généralement l’ascendant sur l’autre camp, peu à peu désorienté. « Le moment que je préfère dans une rencontre, c’est celui où je sens que la personnalité de l’adversaire se brise », dit sans aménité R. Fischer. La maîtrise d’un dispositif intriqué, notamment grâce à l’addition des pièces au centre de l’échiquier, permet de consolider son emprise et de multiplier ses options.

- Quatrièmement, comme nous ne sommes pas seuls à jouer, on ne peut gagner sans chercher à prévoir au mieux toutes les possibilités qu’aura l’autre camp d’agir après soi. C’est peut-être sur ce point qu’un manque d’expérience peut nous faire le plus défaut. « Seul un grand joueur sait à quel point il joue faiblement », disait encore X. Tartacover. A défaut, le joueur peine à mesurer le risque de telle ou telle situation. Il s’expose ou il s’enferme beaucoup trop, sans prudence, alors qu’il faudrait "sentir" le danger, ou l’opportunité qui se profile.

- Cinquièmement, le perdant est invariablement convaincu que ce sont exclusivement ses propres fautes qui l’ont mené à la défaite. Il en conçoit toujours une profonde amertume. C’est sans doute ce qui rend ce jeu si "cruel" : « Il n’y a pas de sport plus violent » dit G. Kasparov. Ce sentiment de culpabilité devrait être nuancé, mais il n’est pas moins vrai que le sort de la partie dépend tout autant, et voire davantage, des erreurs de l’un que des talents de l’autre.

- Sixièmement, les échecs exigent avant tout la précaution du calcul et par suite une réflexion laborieuse, nécessairement lente. Celui qui cède à l’improvisation, à l’enthousiasme d’un plan trop facile ou à la faiblesse d’un abattement, est rarement pardonné. La roue peut tourner très vite et les moyens sont strictement limités. « Le jeu d’échecs est un lac dans lequel peut se baigner un moucheron et se noyer un éléphant », dit un proverbe indien.

« La victoire est brillante et l’échec est mat », concluait finement Coluche, mais il se pourrait qu’en définitive, le plus savant des jeux d’esprit nous offre à tous une grande leçon de modestie.

Ainsi, quant au génie des grands maîtres qui ont toujours fasciné leurs contemporains, Le Chevalier de Jaucourt note avec bon sens, « (…) qu’ici comme ailleurs, l’habitude prise de jeunesse, la pratique perpétuelle et bornée à un seul objet, la mémoire machinale des combinaisons et de la conduite des pièces fortifiée par l’exercice, enfin ce qu’on nomme l’esprit du jeu, sont les sources de la science de celui des échecs, et n’indiquent pas d’autre talent ou d’autre mérite dans la même personne » (Encyclopédie Diderot et d’Alembert - Echecs - 1751).

Sur quoi R. Dobelli alerte tout un chacun : « Les joueurs d’échecs sont compétents pour résoudre des problèmes d’échecs. Et ça s’arrête là. Nous croyons pouvoir transposer des capacités, des aptitudes ou des compétences d’un domaine à un autre. Or, nous en sommes incapables » (R. Dobelli - L’art de bien agir - Eyrolles 2013 P.120). Disons : « le plus souvent incapables »…

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