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Ces récits, ces notes, n’ont d’autres ambitions

que d’aborder quelques rivages nouveaux, d'envisager quelques voies différentes

et de susciter autour d’elles, l’une ou l’autre de ces conversations sincères

qui demeurent l’un des plaisirs de la vie.

LIBRES PROPOS

LIBRES PROPOS

De l’actionnariat salarié

 

Un sondage de 2016 portant sur 700 entreprises françaises non cotées de 20 à 1000 salariés, indique que 2% seulement des PME de moins de 50 salariés et 7% seulement des PME de plus de 50 salariés ont ouvert le capital à leurs salariés (https://www.eres-group.com/etudes-et-enquetes/bdo-et-eres-devoilent-les-resultats-de-la-1ere-etude-quantitative-sur-lactionnariat-salarie-non-cote-en-france/), alors que cet actionnariat est quasi systématique dans les grands groupes (93% des entreprises du CAC 40) et dans les start up.

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Les raisons de ce décalage sont nombreuses. Elles tiennent tout à la fois aux réticences des salariés (seule une entreprise particulièrement solide et dynamique justifierait que le salarié prenne un risque d’investisseur minoritaire de long terme) et des dirigeants qui peuvent douter des vertus de l’actionnariat salarié à court terme (la motivation et la fidélité des salariés dépend de multiples ressorts largement indépendants de la qualité d’actionnaire), et à long terme (les intérêts des actionnaires pourraient diverger au moment de certains choix tactiques ou stratégiques). Aussi, l’actionnariat salarié des PME est-il le plus souvent réduit à certains contextes très particuliers où il apparaît incontournable pour intéresser quelques hommes clés.

 

Elles tiennent aussi aux limites et lourdeurs réglementaires de certains dispositifs (malgré quelques simplifications introduites par la Loi Pacte du 22 mai 2019) théoriquement conçus pour développer l’actionnariat salarié dans toutes les entreprises, mais qui sont en pratique réservés à celles (les plus grandes) qui peuvent en confier la gestion à un tiers (PEA PME/ETI, PEE au nominatif, FCPE ou SICAV d’actionnariat salarié, offre de cession d’actions réservée aux salariés par exemple).

 

Si l’on voulait réduire ce décalage, il faudrait exclure en cette matière toute parenté de régime juridique entre les PME et les grands groupes cotés en Bourse, et partir au contraire des spécificités économiques des premières.

 

Or, quelle est la "réalité" de la grande majorité des PME, et particulièrement de celles qui connaissent un développement rapide ? Côté entreprises : une trésorerie tendue excluant ou minorant les dividendes aux actionnaires et les capacités de rachat de leurs titres en cas de cession d’un actionnaire. Côté salariés : une trésorerie personnelle tendue excluant ou minorant leur capacité d’investissement, qui plus est dans un placement coûteux, non liquide et risqué.

 

En pratique, on le sait, très peu de patrons font fortune en gérant leur PME parce que la raison (la trésorerie…) leur commande de limiter au maximum les charges fixes et variables non impératives, puis de réinvestir l’essentiel des profits (quand il y en a) dans le développement de l’entreprise. En revanche, de nombreux dirigeants sont devenus riches en revendant leur affaire.

 

C’est à ce moment-là seulement (si l’on excepte d’éventuels dividendes antérieurs), au « beau » jour de la cession de ses titres, que le dirigeant d’une PME pourra mesurer vraiment le succès de son entreprise et… qu’il pourrait concrètement associer les salariés au partage de sa valeur, enfin liquide.

 

La solution serait donc avant tout de faciliter toutes les formes d’accords de rétrocession d’une partie du prix de cession de la société aux actionnaires salariés, et ce, indépendamment de leur part au capital (cette part étant forcément réduite ou symbolique compte tenu des moyens financiers limités de la plupart des salariés).

Ce mécanisme simple et cohérent de partage de la valeur créée pourrait passer par une promesse de versement d’une partie du prix de cession inscrite dans un pacte d’actionnaire. Une telle option est malheureusement condamnée aujourd’hui par un régime fiscal dissuasif, la rétrocession risquant d’être requalifiée en salaires.

 

La loi PACTE (art. 162) a bien tenté d’apporter une réponse à cette impasse réglementaire, mais la rétrocession permise est trop faible (10% max. de la plus-value totale, limitée à 30% du PASS par salarié, soit 12340 Euros en 2020), et encore cette somme doit-elle être versée sur un plan d’épargne entreprise (PEE) préexistant.

 

Malheureusement pour les salariés, avant la cession de l’entreprise, il est généralement trop tôt pour espérer. Après, il est toujours trop tard pour regretter.

De l’actionnariat salarié

De l’art des échecs

 

Je n’avais plus joué aux échecs depuis longtemps. J’ai redécouvert ce fameux "casse-tête" de soixante-quatre cases à l’occasion du premier confinement. C’était à la fois beaucoup plus difficile que dans mon lointain souvenir (mais mon adversaire était brillant !), et beaucoup plus captivant. La légende de son invention offrait d’ailleurs un début prometteur. On dit que ce jeu d’origine indienne visait à inculquer à un jeune prince l’idée qu’un roi ne peut rien sans ses sujets. Mais c’est surtout l’examen des raisons du succès ou de l’échec de l’un ou l’autre camp qui m’a intéressé. Voici quelques-uns de ses préceptes.

 

- Premièrement, il faut se focaliser sur le seul objectif qui vaille : mettre le roi en échec. Tout le reste est temps perdu, or, « dans l’univers des échecs, le temps est inexorable » (V. Nabokov). Prendre ou défendre des pièces n’offre aucun avantage en soi et nous disperse en vain, laissant l’initiative à l’adversaire.

 

- Deuxièmement, il n’y a pas d’issue favorable sans offensive et la prise de risque qui s’ensuit. On ne peut pas gagner sur la défensive, quoiqu’elle nous semble préférable et sage au moment où nous craignons de commettre une erreur parce que nous bouleversons l’ordinaire. « Aux échecs, le génie consiste à savoir transgresser les règles au moment opportun », dit R. Teichmann. C’est compliqué, c’est stressant, mais c’est incontournable.

 

- Troisièmement, celui qui peut accroître la complexité du jeu prend généralement l’ascendant sur l’autre camp, peu à peu désorienté. « Le moment que je préfère dans une rencontre, c’est celui où je sens que la personnalité de l’adversaire se brise », dit sans aménité R. Fischer. La maîtrise d’un dispositif intriqué, notamment grâce à l’addition des pièces au centre de l’échiquier, permet de consolider son emprise et de multiplier ses options.

 

- Quatrièmement, comme nous ne sommes pas seuls à jouer, on ne peut gagner sans chercher à prévoir au mieux toutes les possibilités qu’aura l’autre camp d’agir après soi. C’est peut-être sur ce point qu’un manque d’expérience peut nous faire le plus défaut. « Seul un grand joueur sait à quel point il joue faiblement », disait encore X. Tartacover. A défaut, le joueur peine à mesurer le risque de telle ou telle situation. Il s’expose ou il s’enferme beaucoup trop, sans prudence, alors qu’il faudrait "sentir" le danger, ou l’opportunité qui se profile.

 

- Cinquièmement, le perdant est invariablement convaincu que ce sont exclusivement ses propres fautes qui l’ont mené à la défaite. Il en conçoit toujours une profonde amertume.  C’est sans doute ce qui rend ce jeu si "cruel" : « Il n’y a pas de sport plus violent » dit G. Kasparov. Ce sentiment de culpabilité devrait être nuancé, mais il n’est pas moins vrai que le sort de la partie dépend tout autant, et voire davantage, des erreurs de l’un que des talents de l’autre.

 

- Sixièmement, les échecs exigent avant tout la précaution du calcul et par suite une réflexion laborieuse, nécessairement lente. Celui qui cède à l’improvisation, à l’enthousiasme d’un plan trop facile ou à la faiblesse d’un abattement, est rarement pardonné. La roue peut tourner très vite et les moyens sont strictement limités. « Le jeu d’échecs est un lac dans lequel peut se baigner un moucheron et se noyer un éléphant », dit un proverbe indien.

 

 « La victoire est brillante et l’échec est mat », concluait finement Coluche, mais il se pourrait qu’en définitive, le plus savant des jeux d’esprit nous offre à tous une grande leçon de modestie.

Ainsi, quant au génie des grands maîtres qui ont toujours fasciné leurs contemporains, Le Chevalier de Jaucourt note avec bon sens, « (…) qu’ici comme ailleurs, l’habitude prise de jeunesse, la pratique perpétuelle et bornée à un seul objet, la mémoire machinale des combinaisons et de la conduite des pièces fortifiée par l’exercice, enfin ce qu’on nomme l’esprit du jeu, sont les sources de la science de celui des échecs, et n’indiquent pas d’autre talent ou d’autre mérite dans la même personne » (Encyclopédie Diderot et d’Alembert - Echecs - 1751).

Sur quoi R. Dobelli alerte tout un chacun : « Les joueurs d’échecs sont compétents pour résoudre des problèmes d’échecs. Et ça s’arrête là. Nous croyons pouvoir transposer des capacités, des aptitudes ou des compétences d’un domaine à un autre. Or, nous en sommes incapables » (R. Dobelli - L’art de bien agir - Eyrolles 2013 P.120). Disons : « le plus souvent incapables »…

De l’art des échecs

D’une cession d’entreprise dolosive

 

En matière de cession d’entreprise, la bonne foi ne sauve pas toujours... Un repreneur me contait récemment son histoire : le cédant (homme des plus séduisants), lui avait caché certaines informations essentielles sur le premier client de l’entreprise. Les audits, ainsi que la rencontre directe de ce client stratégique, n’avaient rien pu dévoiler d’anormal, alors que l’intention de rompre leurs relations commerciales avait été formellement communiquée par ce client au cédant (la suite l’a prouvée).

 

Las ! la rupture intervient… Le tribunal de commerce « fait ce qu’il peut», mais le cédant prétend bien sûr avoir communiqué cette information cruciale au cours des négociations… et les banques n’attendent pas, quant à elles, sa décision… Au surplus, la réparation d’un tel dol apparaît compliquée dans tous les cas.

 

Pouvait-il éviter ce piège ? A titre préventif, « une enquête de moralité approfondie » m’aurait peut-être permis, me dit-il, d’apprendre ce qu’il sut plus tard de la bouche d’un administrateur judiciaire : toutes les affaires du cédant se terminaient invariablement par des contentieux…

 

Par ailleurs, à côté de la liste des pièces, des informations communiquées, des engagements et des déclarations du cédant, le protocole de cession aurait dû comporter une clause générale précisant que le repreneur n’avait connaissance d’aucune information ni d’aucun indice permettant de supposer que tel ou tel client avait l’intention de rompre sa relation d‘affaires.

 

Ces aigrefins ne vont jamais très loin, qui tiennent la délinquance d’astuce pour un brevet d’industrie, mais jamais non plus ne cessent-ils d’eux-mêmes leurs intrigues...

D’une cession d’entreprise dolosive

De la taxe d’aménagement

 

Il était une fois un dirigeant de PME qui voulait étendre sa plateforme logistique, extension soumise à la double condition d’obtenir un permis de construire (PC) et un financement bancaire. Le voici donc qui se lance dans le dépôt d’une demande de PC qu’il obtient au bout de 6 mois (coût des études et formalités : environ 60 000 Euros, soit 1/5ème des 8% d’honoraires de maîtrise d’oeuvre).

 

Fort de son PC et précisément fixé sur le coût des prescriptions qui lui sont imposées (3,7 millions d’Euros d’investissement en deux phases), il peut sérieusement interroger ses banques (3 co-bailleurs), répondre à leurs hésitations (quels clients ? quelle rentabilité ? quelles garanties ?…) et… attendre leur accord qui n’est toujours pas finalisé 12 mois après.

 

Or, voilà que notre pétitionnaire reçoit un titre de perception lui réclamant le paiement de 56.000 Euros au titre de la première moitié de la taxe d’aménagement. Contestation… Confirmation… le paiement de la taxe est payable, en deux fractions égales, 12 et 24 mois après la date de délivrance du PC (art. L.331-24 du code de l’urbanisme). Il n’est en aucun cas lié aux travaux de construction.

 

Cette mesure est-elle bien raisonnable ?

Premièrement, 56.000 Euros et a fortiori 112.000 Euros ne sont évidemment pas « un détail » pour la grande majorité des PME, et d’autant moins lorsque le plan de financement de l’opération prévoyait leur financement par des crédit-bailleurs.

Deuxièmement, comment peut-on justifier qu’une PME fasse une telle avance de trésorerie à l’Etat (celui-ci lui remboursera la taxe en cas d’annulation ou de caducité du PC – un PC est valable 3 ans, prorogeable 2 ans), alors que, non seulement ses perspectives de revenus, mais le projet lui-même, demeurent incertains (contrairement aux dépenses déjà engagées) ?

 

Le plus étonnant est que ces modalités de recouvrement se sont aggravées à partir de 2010, alors que les conséquences de la crise de 2008 n’ont vraiment pas « aidé » les PME à investir.

D’une part en effet, la taxe (qui s’appelait alors « taxe locale d’équipement ») était payable, en deux fractions, 18 mois et 36 mois après la délivrance du PC.

Mais surtout, son paiement était suspendu jusqu’au démarrage effectif des travaux, ce qu’a depuis lors exclu la circulaire du 18 juin 2013 (art. 1-9-1-1) par une interprétation restrictive de l’art. L.331-30 du code de l’urbanisme.

De la taxe d’aménagement
NOTES DE LECTURE

RECITS

L’Aventure l’Oréal - François DALLE - Odile Jacob 2001.

 

Faire le « grand L’Oréal »…, des années 40 aux années 80, François DALLE y est parvenu, au fil de l’une des plus belles aventures de l’industrie française. Les mémoires qu’il nous livre sont divisés en deux parties également passionnantes : la première retrace les grandes étapes de sa carrière, la seconde résume ce qu’il appelle l’ « esprit L’Oréal », sa doctrine managériale.

 

Quelques « idées simples » de ce bâtisseur exceptionnel :

 

• Au commencement, il y a le choc de la Libération qui offre le « spectacle de l’abondance matérielle que donnaient alors les armées américaines. Je n’avais plus qu’une idée en tête, faire aussi bien et si possible mieux que les Américains. Un irrépressible besoin de création de valeur s’est emparé de moi » (P.15).

 

• Entré pendant la guerre comme stagiaire chez MONSAVON (filiale de L’Oréal), il ressent une « soif d’action (…) une surexcitation dont le rythme (l)’accompagna d’ailleurs pendant toute (sa) vie d’entrepreneur » (P.39). Il y revient quand, devenu l’adjoint du fondateur, il évoque « le tourbillon Schueller » (P.63), le « maëlström » des marchés (P.164) puis le « mouvement brownien » (P.248) de l’entreprise que devrait entretenir son propre successeur.

 

 • « Gérer les problèmes, ce n’est pas les résoudre. C’est le contraire d’entreprendre » (P.335). Entreprendre, c’est être créateur : « Faire, défaire pour mieux faire » selon la devise d’E. Schueller. Pour y parvenir, il faut « organiser le désordre, car une certaine dose de désordre est indispensable à la création » (P.268). Un désordre qui doit cependant procéder d’une méthode cherchant avant tout à « orienter vers la création les esprits de mes collaborateurs, depuis les vendeurs sur la route jusqu’aux chercheurs dans les laboratoires, en passant par les chefs de produits » (P.269 - P.295).

 

• Il ne faut « pas trop se fier aux confidences et aux opinions des gens du siège social, ne pas s’attarder non plus à regarder les chiffres comptables et les statistiques ; aller sur place, aller sur le terrain comme disent volontiers ceux qui n’y vont jamais » (P.68). « C’est dans les endroits où se font, se vendent et se consomment les choses que naît le progrès ; c’est dans les usines, les magasins et les foyers plutôt que dans la caverne-aux-ordinateurs » (P.258). Il faut entretenir « l’esprit de bivouac » à tous niveaux et les hommes d’état-major doivent être recrutés parmi ceux qui se sont formés « sur la route » et qui ont bataillé « sur les coteaux » (P.329). La vie de L’Oréal « ressemble plus à celle d’une armée en campagne qu’à une vie de caserne » (P.380).

 

• « Le succès d’un produit est fait d’un subtil dosage de nombreux facteurs : sa qualité intrinsèque bien entendu, mais aussi la qualité de l’information publicitaire diffusée à son sujet, son prix, son conditionnement et jusqu’au graphisme de son nom, de sorte qu’on éprouve toujours la crainte que la réussite ne puisse se répéter facilement » (P.280 - P.321). Chaque détail compte, aussi ignorait-il ceux qui le raillaient de passer « tant de temps à choisir lui-même l’étiquette de ses produits » (P.328). Il savait que le simple changement de nom d’un produit pouvait multiplier, du jour au lendemain, les ventes par trois !... (P.81). Mais, s’ils s’étaient « tous piqués au jeu de la création publicitaire » (P.81), la question primordiale restait, à chaque nouveau lancement, « de savoir si nos produits étaient bien d’une qualité supérieure - ne serait-ce que légèrement supérieure - à celle des produits concurrents » (P.264). Car in fine, « le produit est la meilleure publicité du produit » (P.132). « C’est un fait d’expérience : la plus petite différence de qualité finit toujours par être perçue par le consommateur » (P.55) et « la mise en avant de sa performance technique permettait de faire prendre beaucoup plus rapidement à un produit, sa place sur le marché, et à moindre coût » (P.308).

 

La recherche est « le moteur de la croissance » (P.301) et l’origine du « supra de qualité » (P.263). D’ailleurs, après la grande réorganisation du début des années 70, le président s’entoure de vice-présidents, mais il continue d’animer directement « la recherche, le marketing et la distribution » (P.164).

 

• « Il faut avoir le courage d’engager les dividendes de la prospérité dans de nouvelles aventures, donc de nouveaux investissements ». Il critique spécialement les « comportements paresseux » des entreprises qui « n’ont qu’une idée, se recentrer sur leur métier » (P.280). Si L’Oréal a pris des risques (sortir de son métier - la coiffure - pour aller sur les marchés publics, s’implanter à l’étranger, acheter des entreprises éloignées de son core business, lancer quantités de produits nouveaux, ruptures radicales ou - plus souvent - améliorations de détail…), ses dirigeants n’ont toutefois « jamais vidé la caisse pour faire une brèche sans s’être assurés qu’en cas d’échec, ils pourraient disposer, dans d’autres activités, de ressources permettant de rééquilibrer leur exploitation et de regarnir leur caisse de compensation » (P.289).

 

• « L’entreprise est comme un végétal. Elle a besoin, pour se développer, d’un sol fertile et de terreau, ou d’humus » (P.274). Au-delà de l’actif comptable (qui peut être négatif, comme ce fut le cas de Garnier au moment de son rachat par L’Oréal au début des années 60), c’est cet « actif potentiel » qu’il convient de créer/d’apprécier et de « travailler correctement » (P.109).

 

• N’oubliant pas qu’E. Schueller était fils de pâtissier (P.84), il proclame « que nous devions tous nous considérer (…) comme des autodidactes » (P.383), et lutter contre « le clientélisme, les camarillas et les copineries d’écoles » qui « créent des solidarités de circonstance, encouragent les corporatismes, dévalorisent la réflexion personnelle, censurent les manifestations individuelles d’originalité et font miroiter l’espoir qu’on peut accéder au pouvoir sans compétence » (P.382). Ainsi, les vendeurs doivent savoir rester « des hommes modestes, des hommes de qualité, de grande courtoisie, des hommes qui expriment la joie de vivre, le respect du voisin et l’amour du client » (P.346). Les jeunes collaborateurs doivent être « capables de conduire le changement, ce qui signifie qu’ils doivent faire preuve d’imagination, mais aussi d’une grande capacité de résistance à l’épreuve et qu’ils soient animés par une ambition qui n’exclut pas la générosité, faute de quoi ils pourraient inspirer autour d’eux l’irrespect et la défiance » (P.380). Pour les chercheurs aussi, les vertus cardinales sont « l’imagination et l’acharnement », « l’excès d’érudition (pouvant) même entraîner parfois le découragement » (P.302). L’esprit général est partout celui d’un « taylorisme à l’envers » (P.276), car « le taylorisme signifie : spécialisation des méthodes et massification des structures. Ses effets pervers sont : dans l’ordre social, la démotivation des travailleurs et, dans l’ordre économique, les carences de créativité, les rigidités de fonctionnement et les résistances au changement des grandes organisations » (P.356).

L’Aventure l’Oréal – François DALLE

On m’avait dit que c’était impossible - Jean-Baptiste RUDELLE - Le Livre de Poche 2015.

 

 

Fondateur de Criteo (l’une des trois entreprises françaises cotées au Nasdaq), Jean-Baptiste RUDELLE nous offre un témoignage essentiel sur le monde des start up du numérique, tout à la fois didactique lorsqu’il partage ses vicissitudes, et attachant lorsqu’il nous confie son regard sur le monde.

 

« J’avais deux rêves un peu idiots » : «créer ma boîte et écrire un livre », bien que « personne ne m’(ait) poussé ni même initié, tant s’en faut » (P.22). Ses parents percevaient l’entrepreneuriat « comme peu glorieux et au fond un peu vulgaire » (P.22). Inutile pour cela d’être « un grand orateur, surtout en anglais » (P. 12), ni d’être spécialement sociable. Etant "geek" avant l’heure, « ce léger autisme social (lui a même) été paradoxalement d’une grande utilité dans sa carrière d’entrepreneur » (P.21). On peut même avoir été « la honte de l’école » (P.248) de Supélec et n’appartenir à aucune « mafia X-Mines ou X-Télécoms qui se cooptent entre eux » (P.191).

« Pas besoin (non plus) de se morfondre des années dans un grand groupe pour acquérir de l’expérience (…). Si j’ai un message pour les jeunes de 25 ans qui veulent monter leur start up, c’est de ne pas attendre » (P.195), quitte à démissionner sans avoir « aucune idée de ce que j’allais faire mais, comme j’étais dos au mur, je me disais que ce serait une façon de forcer le destin. Il allait bien se passer quelque chose. Il le fallait. » (P.125).

En revanche, « s’il vous faut dix ans avant de sortir de votre tour d’ivoire pour discuter avec un associé potentiel ou vous laisser approcher par un investisseur financier, vous n’arriverez jamais à construire grand-chose (…). Dans le monde des affaires, ce comportement farouche est un énorme frein (…). Il faut se faire confiance a priori, et non a posteriori. Ce n’est pas intuitif » (P.174). « La première chose que je conseille à un jeune entrepreneur, c’est d’échanger avec ses pairs » (P.170).

 

• Un événement personnel décisif fut le décès accidentel de sa sœur âgée de 15 ans. « De cette tragédie (lui) est restée une aversion féroce pour les gens qui n’assument pas leurs responsabilités » (P.20). Cette expérience lui « a peut-être permis de (se) lancer dans certains projets un peu fous, sans peur de l’échec et surtout sans peur du jugement d’autrui, paralysie que j’ai souvent observée chez d’autres pourtant plus doués et ambitieux que moi » (P.21). Il note encore avoir conclu à ce sujet : « Lorsque vous êtes frappé par une injustice irréversible, si terrible soit-elle, il vaut mieux aller de l’avant plutôt que de chercher réparation pour un passé perdu » (P.20).

 

• « Une start up est un projet à long terme, où le succès n’arrive qu’après une incalculable succession de difficultés et de déceptions à surmonter. La qualité numéro un de tout fondateur doit être la persévérance. Surtout ne pas se décourager quand on se prend un mur » (P.44). Il lui « a fallu 15 ans pour commencer à comprendre quels sont les ingrédients qui font une bonne start up » (P.27). Sa première entreprise est « un désastre total » (P.23) où il perd toutes ses économies et « 6000 Euros (grosse somme pour eux) empruntés à son père et son frère » (P.24). S’agissant de CRITEO, sa troisième entreprise, il pense avoir encore « testé toutes les façons de nous fourvoyer » (P.77) : « Ratage n°1 : la mauvaise idée, mal mise en œuvre » (P.78) ; «Ratage n°2 : la mauvaise idée, bien mise en œuvre » (P.79) ; « Ratage n°3 : la bonne idée, mal mise en œuvre » (P.85). « Le pire des scénarios de ratage » étant le n°2 : « embarquer l’équipe dans une direction médiocre (permettant de) vivoter honorablement, mais c’est tout » (P.81).

 

• Ce sont toutefois ses « échecs et erreurs en tout genre » qui lui ont progressivement appris à « mieux ajuster les choses » (P.27) et « mis sur la bonne voie en m’obligeant à aller au bout de ma logique. C’est souvent comme cela que ça se passe » (P.34). « Souvent, dans les success stories, le concept initial est assez éloigné du produit final » (P.41). Le problème est qu’il est « souvent très difficile de voir en amont la bonne direction à prendre » (P.74). Il faut donc procéder par tests successifs pour trouver « le bon angle d’attaque (des « géants installés »), en adoptant « ce que j’appellerai la stratégie barbapapa. Sans changer son cœur d’expertise, il faut être capable de métamorphoser en un clin d’œil son modèle pour s’adapter à la nouvelle donne » (P.75), ce qui est « tout sauf confortable (…) quand vous avez investi du temps et beaucoup d’énergie à emmener l’équipe et les investisseurs dans une direction donnée » (P.74).

 

• L’objectif est d’introduire une disruption : « une innovation radicale en totale rupture avec le modèle » existant (P.204) qui « vient saper les fondements mêmes de votre métier » (P.202) et qui vous rend « vraiment indispensable à vos clients » (P.81). Pour Criteo, ce fut « la multiplication par 5 (du) taux de clic » (P.105) grâce à des bannières publicitaires mieux ciblées, jointe à un mode de facturation des annonceurs « en fonction du nombre de fois où les internautes cliquent » (P.111), idée inspirée par Google.

 

• Il faut très vite convaincre des « acolytes de prendre le train en marche » (P.35), en l’occurrence, des profils avec « une compétence ultra-technique » (P.34) qui compléterait sa « casquette de serial entrepreneur » (P.39). « Même au tout début, vous devez dénicher un stagiaire futé et rapide qui a un bon bagage en programmation » (P.36). Pour les trouver, il faut « séduire, c’est la clé dans le démarrage d’une start up (…). Tout ce que vous faites (business plan, préfinancement, maquette produit, voire parfois tests clients) n’a en réalité qu’un seul objectif : convaincre les bons talents de vous rejoindre » en sachant « créer un sentiment d’urgence pour vos candidats associés. Les convaincre que s’ils ne bougent pas, ils vont peut-être passer à côté de l’opportunité de leur vie » (P.35).

Il est indispensable de « démarrer, même sans associé » (P.34), en bricolant soi-même « une toute première maquette » (P.36). Il faut ensuite en parler et « tant pis pour la paranoïa façon j’ai-une-idée-fantastique-attention-à-ne-pas-me-la-faire-voler » (P.34). « Des idées, il y en a tant », dit-il (P.40), alors que « l’important, c’est la discipline dans la mise en œuvre, ce que les Américains appellent l’exécution, et cela, c’est infiniment plus difficile » (P.41).

Rien n’est à négliger pour séduire, comme « une cantine gratuite pour le déjeuner » (P.37), le siège de la rue Blanche « un très beau vaisseau amiral, qui a contribué à convaincre de nombreux brillants talents de nous rejoindre » (P.59), la culture de « l’innovation collaborative » (P.173) et naturellement « des stock-options pour tout le monde, quelle que soit la position dans l’entreprise » (P.187), une « règle de base » qu’il « ne regrette pas (…) quand (il) voi(t) la cohésion et le dynamisme que cela a créés » (P.189).

 

• Il faut « bâtir dès le début une technologie scalable (=déployable à grande échelle) » (P.126) et « penser son produit pour qu’un jour il puisse être mondial » (P.199). « Toutes les start up veulent vraiment changer le monde. Sinon, elles n’ont pas le bon code génétique pour réussir » (P.165).

Mondial et n°1 car «winner takes all » (P.198) : « Dans un marché fragmenté et multi-local, il y avait toujours moyen de se tailler une niche confortable (…). Dans un marché globalisé et transparent, ce n’est plus possible. Pourquoi les clients choisiraient-ils le numéro 2 s’ils peuvent avoir accès au numéro 1 » (P.201). « Nous sommes (…) aujourd’hui aux prémices d’une incroyable révolution industrielle. Le jeu est grand ouvert. Osons en profiter et voir grand, quitte parfois à nous mettre en danger » (P.27).

 

• Aussi, dès que l’on tient « un petit avantage, un concept qui peut faire la différence, il faut foncer comme si demain était le dernier jour de votre vie » (P.198). Ne pas être « comme on dit “petit bras“ » (P.68), mais au contraire prendre le risque « d’investir tous azimuts, y compris dans des pays plutôt intimidants comme le Japon », et dans la recherche, « cela veut dire s’imposer des charges et des coûts fixes incompressibles, sans aucun certitude de voir des revenus en découler » (P.71).

Au plan de l’organisation et de la gestion, cette croissance implique « sans arrêt (de) tuer les recettes qui ont fait le succès de l’étape précédente et réinventer de nouveaux modes de fonctionnement. La seule manière de grandir est de recruter à chaque poste des professionnels qui soient les meilleurs possibles. Et de déléguer des pans toujours plus importants de la gestion quotidienne » (P.245).

 

• Il faut beaucoup « de carburant dans la fusée » (P.47)  pour tenir « 2 ans (sans) aucune réussite concrète » (P.92) : « 300 000 Euros ? Cela ne va vous mener nulle part. Il faut lever directement 3 millions d’Euros (propos tenus fin 2005). Tout de suite. Et vous allez voir, si étrange que cela paraisse, ce n’est pas forcément plus difficile » (P.42). Comme les banquiers n’ont pas « été formé pour jauger la viabilité (…) d’une start up qui risque de connaître les montagnes russes », et que « le risque ( …) de se retrouver en faillite personnelle parce que votre start up n’a pas marché (…) est simplement déraisonnable » (P.49), il n’y a pas d’autre solution que l’appel au Vici (venture capitalist) que nous traduisons « en français (…) par “capital-risque” (…) alors que la traduction littérale serait plutôt “capital-projet” ou encore mieux “capital-aventure”» (P.50).

A leur sujet, il constate : « Les amateurs et les médiocres se battent comme des chiffonniers sur la valorisation et vont pinailler sur toutes les clauses du pacte d’actionnaires. Au contraire, les meilleurs investisseurs - les vrais professionnels - se concentrent sur la seule question qui compte : croient-ils que leur poulain peut devenir une licorne, oui ou non ? » (P.52), ceux-là sont « extrêmement sympathique(s) (…), capables de poser les bonnes questions, de pousser le dirigeant dans ses retranchements » (P. 89), très réactifs (24 heures pour une "term sheet") et ils aiment « les montages simples » (P.55), ce qui ne l’empêche pas de relire « avec une attention quasi maniaque tous (ses) pactes d’actionnaires, à la virgule près » (P.64).

Si les discussions sont « souvent assez tendu(es) » (P.65), parfois empruntent de « bluff » (P.53), il prévient qu’elles ne doivent pas « tourn(er) au bras de fer. Car après il faut vivre ensemble, souvent pendant des années » (P.65). Il faut par ailleurs « sortir de cette équation : dilution du capital = perte du pouvoir opérationnel (qui) ne reflète (…) pas la réalité quotidienne » (P.57). Il est quant à lui passé de 50% à 5% du capital de Criteo.

Enfin, il ne faut pas oublier que les investisseurs ont « un taux de rendement moyen (…) plutôt médiocre » (P.51), que certains n’ont « jamais monté ni dirigé de start up » (P.61), de sorte qu’il est « obligé de constater que, chaque fois que je me suis forcé à suivre les conseils stratégiques avisés de mes financiers contre mon instinct, je m’en suis mordu les doigts » (P. 62), et… qu’ils « détestent le risque » (P.43). A cet égard, le succès de sa deuxième start up (Kiwee) a rendu sa levée de fonds pour criteo « quand même plus facile » (P.54). Comme en matière commerciale, « le succès appelle le succès » (P.138).

 

• « Dans la constitution de tout patrimoine, il y a le plus souvent un gros facteur hasard (…). Sans un minimum de bonnes fées, même le plus talentueux et le plus volontaire des hommes ne peut pas réussir » (P.224). « La vie professionnelle, c’est une sacrée loterie. Il faut être né à la bonne époque, être ni trop jeune ni trop vieux. Et bien sûr ne pas rater le bon secteur » (P.194). « Quant à ceux qui ont eu la malchance de choisir un secteur moins florissant, ils peuvent, après des années de travail acharné, se retrouver au chômage, et cela sans avoir démérité. C’est injuste, mais c’est ainsi » (P.206).

Pour lui, ce fut par exemple cette rencontre fortuite avec ses deux associés : « incroyable mais vrai, ils travaill(ai)ent exactement sur la même chose (que lui), un site de recommandation de films » (P.39), ce fut cet investisseur qui lui a un jour lancé, « presque à la cantonade : - Jean-Baptiste, tu as pensé à utiliser ta technologie pour la publicité ? » (P.91), ou cet autre qui lui a donné le sursaut financier indispensable : « Je n’ai appris la vérité que bien plus tard. En fait, le big boss anglo-saxon avait trouvé l’histoire de Criteo franchement… peu convaincante. Mais comme Dom venait de rejoindre l’équipe, le grand patron avait décidé de le laisser faire sa bêtise, à savoir investir dans criteo » (P.95), ou encore le fait d’avoir « pu tranquillement grandir (à Paris) sous les radars (américains) » (P.127)…

 

[Après avoir quitté la direction générale de Criteo fin 2015, Jean-Baptiste RUDELLLE en redevenu PDG en mai 2018]

On m’avait dit que c’était impossible - Jean-Baptiste RUDELLE

Economiquement vôtre - Yvon GATTAZ - Le Cherche Midi 2018.

Mes vies d’Entrepreneur - Yvon GATTAZ - Fayard 2006

 

Yvon Gattaz fut le « patron des patrons » il y a plus de 30 ans, mais il est resté, depuis lors, un maître inlassable, enthousiaste, clairvoyant et de bonne humeur pour tous les entrepreneurs. Passionné par « les créations d’entreprises nouvelles (…) depuis 1952 » (EV p.116), il nous revient avec une ultime leçon d’espoir, l’esprit toujours vif et le cœur toujours jeune.

 

• Le premier secret du créateur « est d’être bien positionné sur un marché porteur (…) mais ce secret est le résultat du flair entrepreneurial des dirigeants, et du hasard qui sourit souvent à ceux qui le méritent et qui le cherchent avec obstination » (EV p.53). L’entrepreneur a trouvé « dans une chasse éperdue, le fameux produit-marché ou service-marché porteur » (MVE p.31). « Mais ne trouvent des champignons que ceux qui cherchent, cherchent encore, cherchent toujours, avec un panier sous le bras et dans les coins les plus reculés des bois, parfois la nuit avec une lanterne (…). Et ne trouvent pas ceux qui traversent les bois en voiture sur l’autoroute. Et les champignons se découvrent enfin… par chance » (MVE p.31), qu’il faut « saisir par les cheveux, car elle passe rapidement comme un éclair » (EV p.49).

Il n’y a pas de recette ni de conseil utile des anciens sur ce point (VE p.196). « Curieusement, plus l’idée choquera les gens installés, plus elle aura de chances d’être originale et de réussir magnifiquement. Et souvent, le créneau farfelu devient le créneau génial » (MVE p.31). A cet égard, « le décideur est un aventurier inspiré acceptant le risque d’échec, et surtout un courageux prêt à affronter une majorité d’avis raisonnables » (EV p.30), « un innovateur perpétuellement insatisfait, un chercheur infatigable, un trouveur génial toujours en quête d’un mieux, un entrepreneur » (MVE p.134).

Avant de s’intéresser aux connecteurs coaxiaux pour TV, grâce au cousin d’un ami, Y. Gattaz et son frère avaient étudié « des projets utopiques : jouets télécommandés, compteurs de vitesse moyenne pour automobiles, scooters des neiges et quelques autres idées anticonformistes » (EV p.58). Encore l’affaire était-elle mal engagée : « nos fiches coaxiales n’étaient pas vendues sous notre marque RADIALL à la suite d’un contrat de distribution sévère avec nos distributeurs câbliers » de sorte que ce n’était rentable « que pour les intermédiaires commerciaux » (MVE p.34) auxquels ils vendront 8 ans plus tard ce département grand public, préférant se concentrer sur « la production hautement professionnelle (…). Si cette expérience de création fut difficile et peu lucrative, elle nous mit le pied à l’étrier et nous familiarisa avec toutes les difficultés de l’entreprise, techniques, commerciales, humaines et financières » (MVE p.35). « Les marges confortables (…) ne peuvent être obtenues que par des positions techniques et commerciales fortes, conférant une quasi-exclusivité créatrice de marges » (MVE p.156). « La société RADIALL (…) ne tient son équilibre que des mouvements de l’innovation, cette innovation qui permet de renouveler les produits, de les adapter aux nouvelles technologies, de trouver de nouveaux clients et d’obtenir le quasi-monopole de courte durée avec prix honorables amortissant les études et permettant les investissements futurs » (EV p.26).

 

• Le créateur est d’abord un homme d’action et « pour les hommes d’action, la réflexion est essentielle, certes, mais elle doit être limitée à sa mission, car rien n’est plus indéfiniment extensible qu’une réflexion (…). Et l’action disparaît, noyée dans une réflexion sans fin » (EV p.23).

Aussi ne possède-t-il pas essentiellement des « qualités de réception (qui) sont au nombre de quatre : compréhension (qu’on a longtemps appelée « intelligence »), analyse, synthèse et mémoire. (Ces qualités) permettent d’obtenir les diplômes les plus prestigieux » (MVE p.48) mais elles sont insuffisantes pour créer et il n’est même « pas impossible que trop de connaissances ou d’expérience puissent freiner le goût du risque » (MVE p.49). « L’avenir n’est pas aux observateurs, pas plus à l’esprit d’analyse et de synthèse. Il est aux imaginatifs, non conformistes, parfois choquants, à ceux qui dérangent » (EV p.55). « Heureux les inconscients, les fonceurs, les entreprenants, les audacieux, les « si on essayait » ! » (MVE p.53). Attention toutefois à ne pas transformer « dans l’instant le début d’information que nous venons de recevoir en un projet d’actions immédiates », bloquant tout prolongement de l’écoute (EV p.83). De même, s’il « craint chez nos jeunes les études interminables de l’université parking qui peuvent être la conséquence de leur crainte panique des responsabilités professionnelles, (il) leur recommande des études, supérieures certes, mais limitées dans le temps » (EV p.82). Malgré de prestigieuses exceptions, on constate en effet que le taux de croissance d’une nouvelle entreprise est fonction du taux d’instruction de son créateur » (EV p.197).

 

• En revanche, il possède impérativement des qualités d’émission ou « de caractère » (EV p.82) qui sont toutes les autres : « l’imagination créatrice (…) (qui) s’acharne à la mettre en œuvre jusqu’à la réussite (…), la combativité, la pugnacité, la ténacité, le sens du commandement, le goût du risque, le sens de l’animation des hommes, le charisme, le dialogue et même le simple bon sens qui permet de prendre 80% des décisions quotidiennes, jusqu’au plus haut niveau » (MVE p.48), « l’art de savoir convaincre ses interlocuteurs » (EV p.44). Les patrons sont « des animateurs internes et externes, animateurs des cadres et des salariés, animateurs des clients et des fournisseurs, animateurs aussi de l’opinion publique… (ce qui) ne leur ôte aucunement leurs préoccupations de bonne gestion et de performances techniques » (MVE p.95). « Les seuls récepteurs, même éminents, échouent. Les émetteurs réussissent » (MVE p.49). Parmi ces qualités, « deux priorités sont décisives : l’ambition  et la ténacité » (EV p.22).

 

• Le créateur commence par rêver « et il ne faut ni le réveiller, ni le décourager. Il rêve de faire fortune (…), d’innover, de fabriquer, de vendre, d’exporter, d’embaucher, d’animer des équipes motivées » (MVE p.27). Contrairement à ce qu’on dit couramment, « il est indispensable d’espérer pour entreprendre » (MVE p.36).

A ses débuts, l’ambition centrale de l’entrepreneur est l’enrichissement. «  Les créations s’effondreraient si nous ne poussions plus nos jeunes à se lancer dans cette aventure pour réussir, pour réaliser leur rêve et leur ambition, pour « faire fortune » avec les réserves d’usage : le fisc moralisateur saura limiter leur fortune (…) » (EV p.116). « En effet, se mettre à son « conte » est bien un conte de fées avec châteaux à l’horizon. Laissons-les et même poussons-les à rêver » (EV p.124). Du reste, comme le disait finement Stendhal : « ce n’est pas tant d’être riche qui fait le bonheur, c’est de le devenir » (EV p.123).

Par la suite, il a constaté que « leur intérêt strictement personnel s’atténue peu à peu au profit du développement de leur maison dont ils veulent faire un géant sans limites. Et comme ils ne peuvent pas boire trois bouteilles de champagne par jour, ils préfèrent souvent créer des fondations humanitaires, scientifiques, artistiques, voire sportives » (EV p.129). « Qu’ils continuent et ils seront pardonnés ! » (EV p.126).

 

• La ténacité renvoie au risque d’échec et aux « inévitables erreurs des défricheurs » (MVE p.127).

Sur le risque d’échec, Y. Gattaz pense qu’il faut l’évaluer « pour juger s’il est compatible avec (ses) moyens, (ses) compétences, (ses) revenus… et (son) sommeil nocturne » (MVE p.78). Il constate que « notre goût du risque est maximal à 20 ans, avec une variation génétique suivant les individus » (EV p.33). Mais il rappelle que « le risque n’est pas où on le croit. Le pire des risques est de n’en courir aucun » (MVE p.51) et sa conviction demeure que « s’il est tenace et combatif, il réussira même s’il se trompe sur son premier projet, (parcequ’)il saura rebondir et même tirer la leçon des batailles perdues. (…) Un acharné saura acquérir les compétences qui lui manquent ou saura les trouver chez un associé ou des collaborateurs » (MVE p.52).

Attention tout de même à limiter les erreurs ! Si l’erreur peut être « une remarquable école pour la suite (…), « notre droit à l’erreur n’autorise pas le droit à l’erreur répétitive, ni même le droit à l’erreur impardonnable. (…) Celle-ci ne peut jamais aller contre les faits établis. (…) On dit que le meilleur chef d’entreprise est celui qui commet le moins d’erreurs et sans doute les moins graves et les moins répétitives » (EV. P.66).

 

• Voyons donc quelques-unes de ces erreurs qu’il vaudrait mieux laisser aux autres…

 

§ Négliger « la vente, (qui) est l’acte fondateur de l’entreprise » (EV p.44). « Commande : c’est le mot clé de l’entreprise » (EV p.43) et (selon F. Michelin) « l’ordre impératif et définitif » (…) de prééminence des trois pieds de l’entreprise est : « les clients (…) le personnel (…) l’actionnaire » (EV p.31). « La vente, c’est l’art de savoir convaincre ses interlocuteurs : les clients d’abord, mais aussi les collaborateurs, fournisseurs, pouvoirs publics, journalistes » (EV p .44).

 

§ Renoncer à faire vite et bien, alors qu’il est seulement « impossible de faire vite et très bien, ou très vite et bien. Trop de précipitation nuira à la qualité. Trop de perfectionnisme sera incompatible avec le prix de revient imposé par les prix de vente concurrentiels » (MVE p.65). « Les perfectionnistes (…) sont la terreur des chefs d’entreprise car le même travail peut être exécuté avec des vitesses qui ne varient pas de 10 à 20% comme on pourrait le croire (…) mais de 100 à 200% » (MVE p.67). « Les meilleures entreprises de demain seront à l’évidence celles qui iront le plus vite. Le plus vite pour découvrir les fameux créneaux produit-marché ou service-marché porteurs. Le plus vite pour les mettre en place. Le plus vite pour les faire connaître. Le plus vite pour les améliorer, les modifier, les adapter » (MVE p.72). Il faut chercher « toutes les améliorations possibles pouvant accélérer les processus » (MVE p.74).

Mais le « Patron qui court, patron tout court » (MVE p.68)… doit aussi savoir « ménager ses efforts, ménager ses machines, ménager ses collaborateurs et ménager ses finances » (EV p.33).

 

§ Faire juste et vrai, « donc compliqué, (alors) qu’il est plus utile de faire simple et faux. Pas totalement faux bien sûr, mais partiellement, dans une limite affichée, reconnue et acceptée » (MVE p.140), comme « une pièce décolletée a une tolérance de plus ou moins 0.1 millimètre sur le diamètre nominal » (MVE p.138). « Ce qui est simple est faux, ce qui ne l’est pas est inutilisable » disait P. Valery (MVE p.139). Au fond, « l’entrepreneur tente de gérer l’incertitude (…) et pour gérer le moins mal possible les aléas, l’entrepreneur prône les simplifications de tous les systèmes sans exception. Simplifications complexes, ironisent certains observateurs qui n’ont pas tout à fait tort » (EV p.118). Du reste, « tout autour de nous est approximatif et les meilleurs médecins, comme les meilleurs ingénieurs, deviennent de plus en plus modestes en vieillissant tant leurs connaissances leur semblent limitées et approximatives » (MVE p.137).

 

§ Oublier le « radinisme industriel à tous les échelons de l’entreprise (car) il n’y a pas de petites économies » (MVE p.131). « O. Gélinier professait sans complexe que les bénéfices d’une entreprise n’étaient finalement pris que sur le gâchis. Et ce gâchis est grand » (MVE p.130). Mais « il faut savoir dépenser et investir au bon moment et à bon escient. On ne crée pas de belles affaires en pratiquant la réelle avarice » (MVE p.132).

 

§ « Confondre croissance et « excroissance » (EV p.53).  Le « Plus c’est gros, mieux c’est », du célèbre consultant P. Drucker (MVE p.153), n’est qu’un « mythe managérial dépassé » (EV p.54). Les acquisitions externes « doivent (…) être décidées avec la plus grande méfiance » (EV p.52). « J’ai souvent constaté que (l’) objectif d’économie d’échelle (…) se réduisait à une piteuse économie d’échec » (EV p.54), d’autant plus navrante qu’elle « saisit sur le tard certains chefs d’entreprise, jusque-là prudents, efficaces, acharnés, responsables, travailleurs et exemplaires, (qui tentent) un feu d’artifice final qui marquera les esprits » (EV p.54). Attention au « vertige des grands chiffres » (EV p.57).

L’entreprise en sort « alourdie dans sa réactivité, cet atout majeur de la compétitivité moderne » (MVE p.151), car « les problèmes de relations entre les hommes augmentent selon le carré de l’effectif, (ce qui condamne le) « gigantisme verticalisé » (MVE p.120) au profit d’une « décentralisation des relations humaines dans la plus petite unité possible » (MVE p.121). « La taille la plus efficace : (c’est) la moyenne entreprise, petite entreprise qui a réussi » (MVE p.101).

 

§ Dépendre d’un « endettement chronique, renouvelable à l’arraché à chaque échéance, est dangereux (alors que) l’endettement provisoire pour une opération précise et rentable est raisonnable en fonction des possibilités bien prévues de remboursements ultérieurs » (MVE p.161). En général, « le malheur est dans le prêt » (EV p.60) et « l’autofinancement, (la) voie royale » (MVE p. 156). Quant à la bourse, elle fut pour RADIALL « un piège à rats où l’on entre sans pouvoir en sortir » (EV p.38).

 

§ Croire qu’on ne fait pas une bonne entreprise avec une bonne morale. Or « l’honnêteté paie. A terme, sinon à court terme » (MVE p.115). « Les entreprises éthiques acquièrent une réputation d’honnêteté commerciale qui devient un élément incorporel puissant de leur actif (…) si on sait l’utiliser intelligemment » (MVE p.105). L’entreprise doit gérer l’éthique, non pas comme une vertu, mais comme un intérêt » (MVE p.111).

 

§ Négliger « la production de richesses (gain / ventes à des clients) pour la production de valeurs (gain / anticipations d’investisseurs) » (MVE p.147).

 

§ Croire que la modestie est une vertu. Cette « vertu familiale est un défaut professionnel » (MVE p.117). « Dans l’entreprise la réussite personnelle exige une certaine assurance, qui peut aller jusqu’à l’aplomb voire au culot. C’est l’ego débordant et envahissant parfois mal supporté par l’entourage » (EV p.117).

 

§ Etre sceptique et morose. « Naguère, on prenait la tristesse pour de la réflexion, le désespoir pour de l’élégance et parfois l’obscurantisme pour de la profondeur » (MVE p.21). Or, « on s’aperçoit que (l’) humour et (la) gaieté sont des facteurs de cohésion importants car, comme l’affirme le général G. Baffeleuf, un chef triste est un triste chef » (MVE p.77).

 

§ Croire que les syndicats sont encore utiles au XXIème siècle, alors que « le dialogue syndical, en fait l’affrontement syndical, freine le dialogue social et interdit le dialogue humain » (EV p.133). « Les meilleures entreprises françaises ont montré l’exemple. Elles ont supprimé, ou réduit, l’action des saints dicats, mais elles l’ont remplacée obligatoirement par une intense politique humaine, individualisée, personnalisée, compréhensive, interactive, attentive aux besoins des salariés, avec participation active, c’est-à-dire non seulement participation financière aux résultats de l’entreprise, déjà en partie institutionnalisée, mais surtout participation aux initiatives et aux responsabilités, pour donner au travail de chacun un sens et une motivation » (EV p.139). Une entreprise est une « collectivité qui ne doit son succès qu’à la cohésion et à la participation des hommes » (MVE p.213) et « la recherche de la meilleure productivité de l’entreprise se confond avec celle du meilleur climat social possible » (EV p.136).

 

§ Se croire arrivé, « tant la fragilité d’une entreprise semble augmenter avec l’accroissement actuel des risques et de la concurrence mondialisée » (MVE p.292). « Tout triomphalisme porte malheur» (MVE p.117). L’entrepreneur reste un « optimisme inquiet (car) l’inquiet fait des efforts soutenus pour que ses objectifs optimistes se réalisent dans l‘avenir qu’il tente de façonner (…), inquiétude que nos jeunes ne doivent pas confondre avec pessimisme, bien vilain défaut toujours gravement négatif » (EV p.119). Même après une brillante réussite, on peut avoir « tout faux » (MVE p.165) « et c’est ainsi qu’on voit des seconds souffles, voire des troisièmes ou des quatrièmes, échouer lamentablement » (MVE p.164). Avoir des idées définitivement claires dans un environnement définitivement flou est une présomption dangereuse » (MVE p.141).

 

§ Vouloir enseigner la création, car ce n’est pas une discipline qui peut « faire l’objet d’un véritable cours, mais un élan qu’on ne pouvait provoquer que par le dynamisme, la persuasion et surtout l’exemplarité » (MVE p.46). « C’est en dirigeant qu’on le devient » (MVE p.292) et « nombreuses sont les surprises, bonnes ou mauvaises, à ce moment-là » (MVE p.77). « Nous sommes des autodidactes de la création quels que soient nos diplômes » (MVE p. 17).

 

• Et tout ça pour quoi ?... L’enrichissement personnel « par le travail…, l’innovation, la ténacité et le goût du risque ! » (EV p.124) est utile à la société dans son ensemble : les créateurs « inventent sans cesse des produits et des services nouveaux (…) et deviennent de ce fait des bienfaiteurs de l’humanité » (EV p.129) ; ils créent « des emplois rémunérés pour ceux qui n’en ont pas ou qui n’ont pas la capacité de créer leur propre emploi comme entrepreneurs » (EV p.145) et qui sont « heureux de trouver une locomotive » (EV p.147) ; ils produisent les richesses qui pourront être redistribuées, car « une entreprise est, pour un Etat, la source principale de ses revenus : création de produits et services, donc de richesses, TVA, taxes foncières, taxes sur les salaires, plus-values etc., sans oublier les emplois et les impôts que paient eux-mêmes à leur tour ses salariés » (MVE p.152). A contrario, la « distribution sans création, c’est le mystère du socialisme. Et son échec final » (EV p.50).

Le grand combat ne peut être l’égalitarisme qui (selon R. Aron) « ne conduit pas à l’égalité mais à la tyrannie » (EV p.123), c’est « l’égalité des chances, si difficile à réaliser » (EV p.126), notamment dans « le dernier pays du monde où la note de mathématiques d’un concours à 19 ans organisera une carrière entière et constituera le viatique éternel d’une honorabilité sans fin (…) » (EV p.32). Plus concrètement,  c’est en définitive « l’emploi, l’emploi, l’emploi » (EV p.143) et celui des jeunes en particulier, car « personne n’ose avouer à notre époque que le but de tous les producteurs, de tous les gouvernements, de tous les conseillers en management, c’est de réduire les emplois » (EV p.158). Or l’emploi rémunéré, durable s’il est rentable, demeure pour chacun l’indispensable « haubanage social qui soutient l’humain dans son équilibre fragile » (EV p.148).

Économiquement vôtre & Mes vies d’Entrepreneur – Yvon GATTAZ

How to Get Rich - Donald J. TRUMP with Meredith McIver - Ballantine books New York 2004.

 

 

Reconnaissons-le : « Comment devenir riche » est surtout "riche" d’anecdotes personnelles et sa meilleure leçon tient peut-être dans son avertissement initial : « Dans les ouvrages de conseils pratiques, comme dans la vie en général, il n y a aucune garantie et les lecteurs sont avertis qu’ils doivent compter sur leur propre jugement pour accorder leurs actes avec les circonstances qu’ils rencontrent » (p.IV).

Pour autant, et bien qu’il ne soit certainement pas le self-made man qu’il prétend, D. Trump a quelques décennies d’activités derrière lui… et s’il fallait aussi lire "comment devenir célèbre", la star des magazines, des télés ou de twitter aurait assurément des choses pertinentes à nous dire. Pour ceux que ce jeu intéresse, la suite peut donc valoir la peine…

 

Ego, ego, ego…

 

• Dans l’ensemble, tout le livre se présente comme un long plaidoyer pro domo qui se termine par la description des propriétés de son groupe (résidences, hôtels, casinos, golfs etc.) sur 14 pages d’appendice (P.277). Il est vrai que, dixit D. Trump, « ses immeubles sont considérés comme étant les plus beaux du monde » (P.60) et que l’« auteur de bestsellers » (couverture) « réalisa très tôt qu’il était un esthète par nature, aussi bien attiré par la beauté des gens que des immeubles» (P.220).

 

• D. Trump ne cultive donc pas l’humilité ! « Montre-moi quelqu’un sans amour-propre et je te montrerai un gros perdant (…). L’absence d’amour-propre implique une très faible énergie vitale (mais) trop implique une personnalité dictatoriale » (P.97).

Il souligne qu’il faut suivre son propre chemin : « se comparer aux autres est une perte de temps (…). Ne laissez personne être votre référence » (P.108). Lisant « autant qu’il peut », surtout des « biographies et des philosophes », il a notamment retenu de Socrate qu’il faut « penser par soi-même » (P.110). L’étude de la psychologie (spécialement C. Jung) est aussi intéressante pour « vous (donner) un éclairage sur vous-même et sur les manières dont vous interagissez avec les autres » (P.96).

Par ailleurs, il évoque la nécessité d’écouter ses instincts,  « ces signes inexplicables qui peuvent vous guider vers ou en dehors de certains marchés ou de certaines personnes », ce qui suppose qu’un entrepreneur « doit faire confiance à lui-même » (P.64) et en « son propre bon sens en premier » (P.121). « Il doit apprendre la valeur de dire "non" pour poursuivre une meilleure opportunité autre part » (P.173).

Face à « des types puants » (P.163), il souligne qu’il est « un businessman instinctif et qu’(il) a horreur de se faire baiser » (P.164). Il peut « attaquer quelqu’un dans tous les cas (même s’il a peu d’éléments), juste pour prouver qu’il a raison » (P.164). « Quand quelqu’un te frappe, poursuis-le le plus vicieusement et le plus violemment que tu peux. Comme il est dit dans la bible, œil pour œil » (P.162). Et quand quelqu’un refuse de t’aider en retour d’un soutien, il faut « hurler "tu es un fils de pute !" (…) tu n’es pas correct, tu es une des personnes les plus déloyales que je connaisse et aussi longtemps que je vivrai, tu peux aller au diable (…). Maintenant, à chaque fois que je vois Mario à un dîner, je refuse de le reconnaître, de lui parler et même de le regarder » (P. 166). Il note toutefois qu’il s’est un peu « adouci » avec le temps. « Je réalise maintenant que la vengeance peut gaspiller beaucoup de temps mieux dépensé à de nouveaux développements et accords, et même à construire une meilleure vie personnelle » (P.163).

En outre, il note à propos de l’autobiographie d’un auteur : « vous pouvez attaquer 20% des gens, peut-être 25% ou 30% des gens, mais vous ne pouvez pas attaquer tout le monde (…). Cela vous ferait beaucoup de tort, parce que tous vos amis se tourneraient contre vous » (P.193). Lui-même flatte au contraire beaucoup de monde au fil des pages : l’armée (P.213), les New-yorkais post-11 septembre (P.217), des politiques, des acteurs, des chanteurs, des journalistes, des restaurateurs, des avocats, des entrepreneurs et maintes relations dont il n’oublie pas de mentionner souvent la qualité… des épouses.

 

• Faire sa publicité, « ne pas avoir peur d’actionner son propre klaxon quand vous avez fait quelque chose dont la valeur peut être claironnée » (P.63), c’est le premier impératif de D. Trump. « Si vous êtes dans les affaires, vous feriez mieux d’apprendre à parler fort et afficher vos talents les plus remarquables – personne d’autre ne le fera à votre place » (P.60). « Si vous ne parlez pas de vos succès aux gens, il est probable qu’ils ne les connaîtront pas » (P.XI).

Face à un agent immobilier critique, « (il) finit par demander si elle réalise à qui elle parle, ce qui l’a étrangement ramenée de suite à la raison. Presque chaque jour, je dois rappeler à quelqu’un que je sais peut-être ce que je fais. Bien que cela sonne comme si j’actionnais mon propre klaxon, croyez-moi, cela épargne beaucoup d’énervement » (P.219).

Il faut parvenir à faire de son propre nom une grande marque, à l’exemple de Chanel. « Trump est devenu un formidable nom de marque, grâce à mes exigences rigoureuses de design et de qualité » (P.59).

D. Trump note encore que « la manière dont nous nous habillons dit beaucoup sur nous avant même que nous ayons dit un mot » (P. 114). Contrairement à ce qu’il pensait à ses débuts, il affirme désormais que « la classe des habits (ou des chaussures) chers vaut leur prix » (P.115). S’habiller avec goût est une manière de « permettre plus facilement aux gens de vous prendre au sérieux » (P.114). Mais il faut adapter son style à son environnement, car « chaque profession a un certain look ou standard » (P.115).

Il souligne que le côté spectaculaire de son reality show (The Apprentice) n’est pas surfait, « parce que les affaires sont spectaculaires. Il n’y a rien qui soit lassant, (ni) rien qui soit indifférent à leur sujet » (P.261). De ce show, il dit aussi que « l’un de ses aspects favoris (…), ce sont les entrées et les sorties spectaculaires en limousines ou en avions ou dans sa salle de conseil d’administration. C’est agréable d’être le PDG, mais c’est encore mieux d’être le PDG à la télévision nationale » (P.256).

 

• Dans cette quête de promotion, la reconnaissance d’autrui, « douce musique à (ses) oreilles » (P.231), et tous les signes extérieurs de réussite en général, tiennent une place importante, peut-être parce qu’au fond, déclare-t-il, « je  ne me suis jamais trouvé moi-même être particulièrement fascinant » (P.229).

Un jour, dans un embouteillage, «  je décidai de sortir de ma limousine et de me tenir là, juste au milieu du chaos. La réaction ? D’abord un silence de mort. Puis les conducteurs enragés et leurs passagers commencèrent à s’agiter et à crier : Donald ! C’est le Donald ! Hi Donald ! Je n’ai pas pu m’empêcher de rire » (P.212). Voyant le nombre de candidats à la présélection de l’émission The Apprentice, « je pensais en moi-même, tous ces gens veulent travailler pour moi ? c’était incroyablement flatteur » (P.257).

D. Trump chérit toutes les marques de notoriété, d’éloge ou d’amitié : il conseille de « garder une boîte près de votre bureau avec tous les souvenirs de gens ou d’événements qui ont compté dans votre vie ou votre carrière. Regarder le contenu de temps en temps vous gardera conscient de votre bonne fortune » (P.232).

Quant à sa couleur de cheveux qui est « un sujet national de conversation » (P.179), il assume cette coquetterie, notant qu’ « (il) a entendu des gens dire que les hommes sont plus vaniteux que les femmes, et qu’(il) le croit en effet » (P.178). Il souligne en outre de façon générale, qu’ « une dynamique sexuelle est toujours présente entre les gens » (P.267).

 

• Quant aux critiques, sauf exception, ils sont destructeurs. « Ne croyez pas les critiques, sauf s’ils adorent votre travail » (P.63). Du reste, « personne excepté un masochiste absolu ne veut être critiqué » (P.99).

A contrario, « il faut se nourrir des pensées positives et vous pourrez décoller à chaque instant » (P.87). « Les pensées positives créent une perception positive » des choses qui ont alors « plus de chances d’advenir » (P.90). « Ce peut être votre meilleur jour à chaque instant. Des choses très surprenantes peuvent survenir, mais vous devez – et je répète devez – leur être ouvert. Comment voulez-vous voler si vous avez déjà replié vos propres ailes » (P.85).

« La négativité est aussi une forme de peur et la peur peut être paralysante » (P.84). « J’en suis arrivé au point où je vois les coups durs comme des opportunités et comme un moyen de comprendre celui qui frappe » (P.85). « Soyez (donc) optimiste, mais toujours prêt pour le pire (…). Les hauts et les bas sont inévitables. Alors, essayez simplement d’y être préparé (…). Je suis vraiment une personne très prudente, ce qui est différent d’une personne pessimiste. Affichez un esprit positif avec beaucoup de contrôles des réalités » (P.66). A cette fin, il est par exemple indispensable de signer un contrat de mariage. « Tout ce qu’il signifie est que vous reconnaissez que la vie, spécialement en matière de coeur ou d’affaires, peut être compliquée » (P.124). De même, il réitère par ailleurs un conseil qu’il avoue n’avoir pas suivi lui-même dans les années 90 : « ne jamais se porter caution personnelle » (P. 9).

 

• D. Trump consacre deux chapitres à l’art de parler en public. Il insiste sur la nécessité « s’accorder avec les gens », (…) de faire en sorte que la conversation ne soit pas « unilatérale », « d’impliquer votre public » (P.75). Il faut « se demander par quoi les gens sont intéressés et le genre de questions qu’ils aimeraient poser » (P.74). Sur la forme, il faut étayer ses déclarations par des exemples « en les rendant aussi vivants que possible » (P. 76). Pour se préparer, il faut noter tout propos ou anecdote qui pourra être utile (P.80). « Les gens aiment les histoires et ils s’en rappellent » (P. 77), surtout quand elles montrent tout ce que nous avons en commun (problèmes quotidiens, mauvais jours, bonheurs, déconvenues), même s’il faut rire de soi-même. « Vous créerez un lien immédiat parce qu’ils vont réaliser qu’ils peuvent entrer en rapport à vous ». Et puis, « les gens sont là pour apprendre quelque chose, mais aussi pour être divertis ». Il ne faut pas « juste parler, il faut partager » (P.98) avec « une bonne dose de spontanéité » (P.79). « Je suis juste moi-même », dit-il au sujet de son reality show (The Apprentice) (P.261).

Contrairement à l’écrit, on ne peut pas raturer ! La bonne humeur est contagieuse : « Si le public sent que vous êtes heureux de ce que vous faites, ils aimeront être avec vous » (P.80). Aussi, ne dramatisez pas l’enjeu : « avant de parler, souvenez-vous qu’(un discours) ce n’est pas si important que ça » (P.81)…

 

Conseils de management divers…

 

• D. Trump commence par répéter qu’il agit par plaisir et pour réaliser ses rêves (dont nous ne saurons rien de précis…) : « je ne fais pas d’affaires pour l’argent. J’en ai assez et bien plus que je n’en aurai jamais besoin. Je fais des affaires pour les faire. Les affaires sont ma forme d’art (…) j’aime faire des affaires, préférablement des grandes. C’est comme ça que je prends mon pieds » (P. xii).

« L’argent n’est pas une fin en lui-même, mais il est quelquefois le moyen le plus efficace de réaliser nos rêves » (P. xii). « Mes objectifs idéaux sont le succès avec le sens. Cela vaut plus que l’argent. (…). C’est un sentiment formidable d’être en position de faire une différence (…). J’espère que vous deviendrez riche. Et j’espère que vous utiliserez vos talents pour faire quelques changements positifs dans votre monde proche » (P.271). « Les gens qui travaillent pour moi savent qu’il y a plus en moi que mon personnage public » (P.30), dit-il.

Le bonheur d’apprendre est un autre de ses moteurs : « plus j’apprends, plus je réalise que je ne sais pas, (ce qui) me garde jeune au fond plus que tout autre chose », lui dit un jour son père (P.36). D. Trump consacre chaque jour un temps « à étendre (ses) horizons » (P.38). « Si je termine la journée sans en savoir plus qu’au réveil, je me demande : qu’ai-je raté aujourd’hui ? Suis-je devenu fainéant ? » (P.37). « Apprendre est un nouveau commencement que nous pouvons nous donner tous les jours » (P.36). Toutefois, note-t-il, « une des choses que je ne fais pas, c’est cuisiner » (P.241).

 

• Il faut prendre la mesure de son rôle de « général (…) responsable, non seulement pour vous-même, mais pour vos troupes » (P.3). Aussi suggère-t-il de se le rappeler autant que possible : « Je suis le dirigeant et le Président du groupe Trump. J’aime le dire parce que cela signifie beaucoup pour moi » (P.3). Sur son bureau est écrit : « THE BUCK STARTS HERE » (P.16) qui pourrait se traduire par : le sens des responsabilités commence ici.

Le dirigeant est aussi le seul qui possède toute la vision, « the big picture » (P.28), et qui est le garant de son respect. Sur ce point, il faut « penser grand » (P.41) car « les opportunités sont partout et si vous pensez trop petit, vous les manquerez. (Du reste),  à bien des égards, il est plus facile de construire un gratte-ciel qu’une petite maison dans un mauvais quartier de brooklyn (et) si vous gagnez, vous gagnez beaucoup (alors que) si vous ne gagnez pas, quelle est la différence entre perdre 100 000 $ ou des centaines de millions de dollars ? » (P.40). « Si vous gagnez sur une grosse affaire, vous ne suerez pas sur des petites », souligne-t-il (P.262).

Il se compare à « un générateur – quelqu’un qui démultiplie les forces, les maintient, prend de la vitesse, la maintient à un haut niveau, et tout va bien – excepté quand il (D. Trump) arrive à son point d’ébullition » (P.244). Il ajoute au sujet d’un ami qu’ « il n’a pas peur et qu’il a une énergie positive considérable, ce qui représente (son) idée d’un brillant leader » (P. 258). Plus prosaïque, il résume son métier en disant : « j’embauche des gens. Je vire des gens. Je fais en sorte que les choses marchent (P.256).

 

• Toutefois, il ne faut pas manquer de prendre conseil : « Contrairement à ce que beaucoup de gens peuvent penser, j’écoute et prends conseil d’un grand nombre de personnes avant de prendre une décision finale sur quoi que ce soit (…).C’est pourquoi je procède avec prudence, même si mon image peut-être plus flamboyante » (P.227). Il ajoute : « j’ai peut-être la réputation d’être un effronté, mais je suis très mesuré pour ce qui est de mes prises de décision (P.247).

 

• Il faut savoir s’entourer de « gens en qui vous pouvez avoir confiance. Je dis souvent qu’il est bon d’être paranoïaque, mais pas quand il s’agit de votre équipe » (P.12). Il note en particulier : « Priez Dieu pour avoir un formidable adjoint » (P.12).

Il « trouve des gens qui s’accordent avec son style de gestion » (P.4). « Les gens voient comment on travaille ici et si ça ne leur convient pas, ils s’en vont » (P.21). « Essayez de prendre des gens que vous aimeriez voir travailler pour vous » (P.240). Pour lui, les quatre qualités essentielles d’un apprenti sont : 1/ « quelqu’un qui met les gens à l’aise (…) pour être capable de se rapprocher des gens que vous rencontrez, toutes les heures, tous les jours » (…) ; 2/ « pas seulement un cerveau livresque, mais une intelligence de la rue aussi » (…) ; 3/ « la capacité de voir au-delà des évidences, de penser de manière imprévisible et imaginative, pour établir des liens que les autres n’envisagent pas » (…) ; 4/ « la loyauté et le sens des responsabilités » (P.269-270).

Mais « chaque embauche est un pari » (P.23), car les gens se révèlent dans l’action et plus encore dans le pouvoir. Il cite à ce sujet A. Lincoln : « Presque tous les hommes peuvent supporter l’adversité, mais si vous voulez tester le caractère d’un homme, donnez-lui du pouvoir » (P.35). Quant à sa propre responsabilité, il raconte au sujet d’un salarié : « je lui ai dit que sa mauvaise performance n’était pas sa faute mais la mienne. J’ai simplement embauché la mauvaise personne par surestimation de ses capacités. J’ai ajouté que s’il voulait que je change d’avis sur ma faute initiale, il n’en tenait qu’à lui » (P.222). « Je ne vois pas de raison de tolérer quelqu’un d’inefficace ou d’irresponsable. Je fais de mon mieux et ils doivent le faire aussi » (P.244). Quant à ceux « qui font constamment les mêmes erreurs » (…), il ne les garde pas (P.243).

 « Un certain niveau d’ambition personnelle est nécessaire mais il ne doit pas aller au-delà du point où l’intérêt commun de l’entreprise serait en cause (d’autant plus que) si votre équipe ne peut pas travailler ensemble, vous n’accomplirez rien de grand » (P.25). « Il n’aime pas les coups de couteau dans le dos (…). Si les gens ont du temps pour être médisants, c’est un signe qu’ils ne sont pas assez occupés avec leur travail » (P.25). Il faut aussi être soi-même exemplaire dans « sa contribution au bien-être de l’organisation » (P.25).

Les meilleurs sont ceux « qui se voient comme ayant une relation directe au succès ou à l’échec de l’entreprise (…) qui considèrent l’argent de l’entreprise comme si c’était le leur » (P.24). Peu importe la manière dont les gens travaillent : ils « ont différentes manières de parvenir au résultat » (P.34), pourvu que « chacun semble occupé et qu’il y ait un joli bourdonnement de toute cette activité » (P.238).

 « Je travaille seulement avec les meilleurs » (P.3) est l’un des adages de D. Trump, notamment des gens qui sont très synthétiques, « qui me disent ce que j’ai besoin de savoir en vingt mots ou moins » (P.4). « Chaque fois, je demande quel est le problème et nous y venons immédiatement » (P.211). « Ils vont aux faits, et vite » (P.208). Il souligne qu’une conversation de « peut-être trois minutes » (avec son adjoint G. Ross) est déjà « assez longue » (P.202) et il apprécie l’absence d’équivoque comme cette réponse d’un conseiller au sujet d’un projet risqué : « "ça pue", dit-il » (P.18).

« Il ne faut pas intimider les gens (sinon) vous n’obtiendrez jamais de réponse franche de quiconque (…). Je garde mon bureau ouvert et les gens savent que je suis disponible autant qu’accessible » (P.16). « S’ils sentent qu’ils peuvent vous apporter des idées, ils le feront » (P.27).

Il recherche des gens créatifs et passionnés qu’il repère à leur goût du détail. Si quelqu’un aime ce qu’il fait, « cela apparaît par son attention aux détails » (P.244).

Il cherche à « les motiver (…) et à les inspirer quand c’est nécessaire » (P.5). A cet égard, « avoir une passion pour ce que vous faites est crucial. Si vous n’êtes pas excité par ce que vous faites, comment pouvez-vous vous attendre qu’un autre le soit ? » (P.16). Pour D. Trump, il s’agit notamment du golf (dans lequel il a investi) dont la pratique lui permet en outre de trouver « des solutions aux problèmes, de nouvelles idées d’affaires et même de nouvelles carrières » (P.53).

« La plupart des gens n’aime pas stagner » (P.30). Il faut leur donner leur chance, « au-delà de leurs titres ». « Très souvent, vos ressources valent mieux que ce que vous croyez. Je n’aime pas quand les gens me sous-estiment et j’essaye de même de ne sous-estimer personne. Les gens ont plusieurs visages, et il est important de les laisser fonctionner d’une manière qui leur permette de briller » (P.32). Toutefois, ne comptez pas sur lui pour vous émanciper : «Vinnie (un de ses salariés) aurait pu être une star de cinéma avec son physique et son charisme, mais heureusement, il travaille pour nous. Il aurait aussi pu écrire ses propres scénarios, mais il est trop occupé pour le faire » (P.214), note-t-il…

Et « si votre patron est sadique ou juste un communicateur infecte (…), virez votre patron et trouvez un meilleur emploi. Essayer d’endurer une mauvaise situation qui ne s’arrangera jamais n’a aucun sens » (P.21).

 

• De sa chute lors de l’explosion de la bulle immobilière au début des années 1990, D. Trump nous dit qu’il a retenu la leçon  suivante : « Rester concentré » sur ses affaires, ne jamais baisser son « attention » ni croire que c’est « facile » (P. 7).

Il faut rester « attentif au marché. Sachez ce qui s’y passe aujourd’hui (…) Comment voulez-vous réussir si votre idée de ce qui se passe dans le monde est vague ou inexistante ? » (P.106). En effet, « il y a un revers à chaque événement (et) développer sa capacité à le voir ou à l’entendre » (P.107) permet d’anticiper ce qui va se passer, comme dans un jeu de ping-pong où le bruit de la balle sur la raquette nous permettrait de deviner où et comment elle retombera de l’autre côté de la table. A s’éloigner trop longtemps des affaires, on court même le risque d’être totalement dépassé. Parmi ces aphorismes favoris, il y a celui-ci de Napoléon : « Un chef a le droit d’être battu, mais jamais le droit d’être surpris «  (P.91).

Aussi, « la dynamique est une chose que vous devez travailler et maintenir » (P.11). A cette fin, il préconise de se préserver « des moments de calme, habituellement environ 3 heures par jour » pour « lire (des journaux, des livres) et méditer » (P.110).

 

• Il faut bien sûr travailler beaucoup car, cite-t-il, « plus dur je travaille, plus chanceux je deviens » (G. Player) et dans la longue durée car « il n’y a aucun endroit intéressant que l’on puisse atteindre par un raccourci » (B. Sills)… Et encore n’y a-t-il « aucune garantie de succès » (P.109).

Il note cependant que « nous sommes devenus intolérants à toutes les choses que nous ne pouvons pas accélérer ou contourner carrément, (or) je ne peux pas accélérer le travail préparatoire à l’édification d’un immeuble, ni m’attendre à jouer du piano comme Glenn Gould seulement parce que je le veux » (P.104). Il cite A. Lincoln : « J’étudierai et je préparerai et peut-être que ma chance viendra » (P.221).

Prenant l’image d’un écolier, D. Trump souligne que « les devoirs à la maison sont impératifs parce qu’il y aura forcément une interro. » (P.101). « Dans toutes les affaires, l’essentiel est de comprendre le processus » et « une partie de ce processus tient dans le fait de faire ces devoirs » (P.102). Parmi ces devoirs d’une « absolue nécessité, (il cite) la lecture de cinq à sept journaux chaque matin avant d’aller au bureau (…) et de dix à douze magazines (…) chaque fin de journée (…), puis 15 minutes de calme relatif pour évaluer les évolutions du monde » (P.205). De même pour maîtriser « les prix de marché de tout ce qu’il fait » (P.206). De même encore pour assurer les réponses (aux documents légaux et requêtes innombrables) et échanges qu’il faut entretenir « avec nos correspondants plusieurs fois par jour » (P.241).

Ces horaires de bureaux stricto sensu apparaissent malgré tout très raisonnables : 8.30/9.00 à 18.00/19.00 au maximum et du lundi au vendredi uniquement (P.194), avec une pause de 15 minutes pour déjeuner (P.208), jamais à l’extérieur, sauf exception (P.201).

 

• Il faut « regarder votre entreprise comme un être vivant (…) dont les chiffres des tableurs reflètent l’état de santé. Faites attention aux mauvaises cellules, pendant que vous permettrez aux bonnes cellules de prospérer. La croissance est un signe de vitalité, donc gardez votre organisation en progrès constant » (P.16).

 

• D. Trump « porte attention à tous les détails » (P.71), « en contrôlant les choses par lui-même autant qu’il est possible » (P.216). « Je lis des rapports, mais il n’y a rien de mieux que voir les choses par soi-même » (P.223) et « je ne trouve jamais fastidieux de contrôler mes propriétés » (P.239).

« Quand mon nom est sur quelque chose, il vaut mieux que ce soit formidable. Est-ce que ça peut être plus simple ? » (P.212). En effet, « vous ne pouvez pas commercialiser (quelque chose) et être un maître en marketing sans avoir un produit formidable – ça ne marche pas comme ça » (P.231).

 « En affaires, rien n’est jamais trop petit pour être noté » et il cite Benjamin Franklin : « Prenez garde aux petites dépenses. Une petite fuite finira par couler un grand navire » (P.241), « même si (il) peut sembler un peu extrémiste parfois, (comme au sujet) des poignées de porte du hall d’accueil de son bureau (qui) n’étaient pas aussi bien polies qu’il aime qu’elles soient » (P.212).

De manière plus générale, « avant que vos rêves ne vous élèvent jusqu’aux nuages, soyez sûrs que vous devrez regarder attentivement les faits qui sont au sol » (P.19). « Est-ce-possible ? est-ce réalisable ? (…) Je suis un visionnaire, mais un très-pragmatique » (P.221).

 

• Son exigence provoque chez lui des hurlements fréquents : « tu dois faire ce que tu dois faire. Hurler (sur des contractants indélicats ou sur ses directeurs) est ce que tu dois faire » (P.197), par exemple au sujet de « notre photocopieuse qui est encore en panne » (P.245). « Quand les gens m’entendent hurler, croyez-moi, il y a une raison pour ça » (P.204), et il souligne : « il serait trop ennuyeux de vous en parler, mais (hurler) est quelque chose qui est absolument nécessaire dans la promotion immobilière et la construction. Je perds beaucoup de mes journées à le faire » (P.246).

 

• En matière d’investissement, « le plus judicieux conseil (qu’il) puisse donner est d’investir uniquement dans des produits que vous comprenez, avec des gens que vous connaissez et en qui vous pouvez avoir confiance. Parfois, les meilleurs investissements sont ceux que vous ne faites pas ». Il ajoute qu’il préfère investir dans l’immobilier parce que « vous pouvez le toucher, le ressentir et le flairer » (P.239).

Aussi faut-il, à l’instar des rapports de Warren Buffett, « être capable de réduire les choses aux termes les plus simples » (P.123). En outre, il faut raisonner « non pas à court terme (…), mais sur une période de 15 ou 20 ans » (P.122).

Dans une nouvelle affaire de restauration où il avait investi comme business angel, « (son) intention est que les investisseurs comme lui devaient recevoir 6 fois leurs mises initiales » (P.164).

 

• Avant toute discussion d’affaires, D. Trump préconise de prendre personnellement contact et de « (vous) assurer que (vous) avez établi un lien/une correspondance avec (l’autre) » (P.254).

Il faut s’adresser à « la personne qui est vraiment responsable, pas avec les subordonnés (et) oublier les juristes » (P.127). « Bien-sûr, il peut y avoir un moment où les juristes sont nécessaires. Certaines personnes sont des vauriens (notamment beaucoup de médecins). Dans ces cas-là, il faut attaquer ces bâtards. Mais autant que possible, négociez. Cela fait gagner beaucoup de temps à tout le monde » (P.128).

C’est spécialement nécessaire dans ses relations avec les banquiers, et d’autant plus facile que « les gens sont impressionnés par la célébrité » (P.127).

Dans les médias de même, il se rend à l’improviste à un talk show en notant : « si quelqu’un vous défie, essayez toujours de relever le défi et de concourir » (P.233).

 

• « Les meilleurs négociateurs sont des caméléons. Leur attitude (…) dépend de la personne qu’ils ont de l’autre côté de la table » (P. 137). Pour la connaître, « étudiez le parcours de la personne (…), donnez-lui quelques bribes d’informations ou quelques opinions provocantes pour voir sa réaction (afin) d’estimer (son) courage (…). Veut-il être aimé? Est-il à l’aise avec l’incertitude? Est-il capable de franchise ?... » (P.153).

Car la négociation « est avant tout une question de persuasion, pas de pouvoir » (P.135), afin que « les gens acceptent votre idée, pas qu’ils y soient simplement résignés (…). Laissez-les penser que la décision est la leur » (P.137). Pour y parvenir, il faut « leur laisser penser que vous êtes au même niveau (…). Si vous êtes trop supérieur dans leur esprit, ils se sentiront frustrés ou, pire, inférieurs » (P.136). Utilisez volontiers « des métaphores et des analogies accessibles », de « l’humour (pour) briser la glace », montrez-leur « comme vous être merveilleux et combien vos idées sont nobles » (P.136), avec « confiance (…), mais sans "bulldoze" » (P.137).

Il est essentiel de « considérer ce que cherche l’autre partie » (P.140). Ce n’est pas toujours en priorité de l’argent, mais aussi de la tranquillité d’esprit ou de la rapidité. « Avant de commencer une négociation, écrivez vos objectifs. Puis essayez d’anticiper ce que l’autre partie pourrait vouloir » (P.150), et « si vous voulez connaître la vérité, allez à la source et coupez l’interprétation des intermédiaires » (P.141).

Pour contrôler le rythme d’une négociation, il peut être utile de l’accélérer, notamment en montrant « un manque d’intérêt pour l’accord (ce qui) va souvent raviver les efforts de l’autre partie pour aboutir à quelque chose » (P.158) ou de la ralentir si nous voulons « garder la main », notamment en « distrayant l’autre partie (…) dans une direction où elle va perdre du temps et de la concentration (…) et (nous) donner le contrôle de la négociation avec assez de temps pour tout évaluer à (notre) aise » (P.159).

Il faut enfin « être flexible » (P.143) pour ne pas forcer l’autre partie à refuser une exigence qui sortirait de tous les usages ou pour reconsidérer ce que vous voulez, notamment quand « l’autre partie (vous) donne des idées auxquelles (vous) ne songiez pas » (P.149). « Dans une bonne négociation, toutes les parties gagnent » (P.152).

Toutefois, quand l’accord est impossible, la seule issue est parfois d’ « engager une action spectaculaire » (P .161). Il s’est par exemple résolu à attaquer la ville de New-York qui lui réclamait une taxe considérable. Finalement, après 4 ans de procédure et beaucoup d’échanges, nous avons abouti à un accord » (P.161).

 

• D. Trump a persisté « plus de trente ans » pour réaliser son projet de Trump Place à New-York (P.51). La ténacité ou la patience est d’autant plus indispensable que « l’argent, comme la comédie, est toute entière une question de timing » (P.49). Il faut parfois « attendre (le) bon moment » plusieurs décennies (P.142).

A cet égard, il constate que « les gens qui ont une passion n’abandonnent jamais parce qu’ils n’ont jamais de raison d’abandonner, quelles que soient les circonstances » (P.57).

 

• « Soyez paranoïaque (…). Voyez les choses en face, il est possible que même votre meilleur ami veuille vous voler votre épouse et votre argent (…). C’est une jungle (où) nous sommes pires que des lions (au moins agissent-ils pour la nourriture). Nous agissons pour "the thrill of the hunt" (le frisson/l’excitation/l’émotion forte de la chasse) » (P.163).

« (Il) croit à peu près 20% de ce que (ses) contractants disent, et ça, c’est dans un bon jour » (P.242). « Le moment où (il s’) inquiète le plus est quand il n’y a aucun problème. C’est habituellement le résultat d’un défaut d’information ou que quelqu’un prend ses désirs pour des réalités » (P.211).

Il souligne qu’il faut constamment voir si un concurrent peut mieux faire que ce que vous faites, et si c’est le cas, « vous devez offrir une qualité qui leur fait défaut » (P.19).

 

Et la politique ?…

 

Au moment d’écrire ce livre (en 2004), D. Trump semblait avoir définitivement renoncé à la politique, dans le milieu duquel il naviguait  depuis 20 ans, tantôt démocrate, tantôt républicain, tantôt membre du Parti de la réforme fondé par Ross Perot. Il y parle très peu de politique, mais ses quelques propos laissent évidemment songeur aujourd’hui.

 

Au sujet des politiciens, il note en premier lieu : « Si vous êtes équivoque, c’est un signe que vous n’êtes pas sûr de vous et de ce que vous faites. C’est ce que font tout le temps les politiciens et j’estime que c’est inopportun, insultant et condescendant » (P.17).

 

Au sujet des médias : « Pour l’essentiel, je m’entends bien avec les gens des médias. Je respecte leur travail, et ils me respectent habituellement, ainsi que mon temps limité. On fonctionne ensemble et il est rare que nous nous disputions » (P.210).

 

De lui-même, il avoue : « Je suis trop brusque pour être un politicien. Aussi, il y a mon aversion tenace à serrer les mains. Serais-je entré dans la course, je n’aurais pas été très populaire » (P.67) et il conclut qu’avant de prendre des risques, « soyez aussi sûr que possible que vous avez le bon état d’esprit pour le poste » (P.68)…

How to Get Rich - Donald J. TRUMP with Meredith McIver

Le Canard Enchaîné 101 ans - Seuil 2017

 

Le Canard Enchaîné est un journal hebdomadaire sans équivalent en France depuis des décennies, à la fois léger sur la forme et rigoureux  sur le fond. Mais c’est aussi une des rares sociétés du secteur qu’aucune « crise de la presse » ne semble avoir affectée. Avec un chiffre d’affaires supérieur à 20 millions d’Euros ces dernières années, une rentabilité nette d’environ 10% et des réserves de l’ordre de 130 millions d’Euros (de quoi tenir au moins 5 ans sans faire une seule vente…), le Canard aurait-il trouvé, dans ce domaine aussi, quelques « scoops » ? Voici du moins certaines pistes de réflexion inspirées par la lecture de son livre anniversaire (Le Canard Enchaîné 101 ans Un siècle d’articles et de dessins - Seuil 2017).

 

Un fondateur charismatique :

Maurice Maréchal a 33 ans en 1915 quand il investit un petit héritage de famille dans la création d’un journal décidé à « rompre avec toutes les traditions journalistiques établies jusqu’à ce jour » (P.14) pour « lutter contre l’odieux bourrage de crâne de la presse et l’optimisme béat des immobilisés de l’arrière » (P.186). Y travaillent son épouse (Jeanne) à l’administration et un ami (Gassier) aux dessins. « Il ne vivait que pour son journal, dans son journal. Il ne se montrait pas dans les lieux où d’ordinaire les gens s’exhibent (…). Maréchal, c’était l’homme le moins servile du monde (…) il avait cet air correct et net qu’ont parfois les artisans. Costume sobre, chemise irréprochable – un côté savon de Marseille !... » (P.122). Quant à son épouse, elle est à l’initiative de la reparution du journal après la 2de guerre mondiale, « tel que Maréchal (mort en 1942) l’eût souhaité ». Directrice jusqu’en 1967, l’équipe évoque « sa gentillesse et son élégance morale (concluant), c’était la mère du Canard. C’était notre mère à tous » (P.239).

 

Une mission sociétale très claire et motivante, formalisée dans le premier éditorial de 1916 :

être « un journal vivant, propre et libre » (P.5) afin, comme le dit plus tard l’un de ses PDG emblématiques, d’ « être le fou du roi (fût-il un social-roi) brocardant le prince et ses courtisans, en même temps que le garde-fou de la République dénonçant les excès du pouvoir, les exactions, les sottises, les abus de tous ordres, essayant de protéger les citoyens » (P.485), tenant « son rôle dévastateur, démystificateur, révélateur, consolateur » (P.326). Une sorte « d’appareil d’éclairage » (P.122). A noter qu’il s’engage exceptionnellement de manière directe (achat d’un terrain au Larzac, achat de montres LIP…). 

 

Toute l’énergie de l’entreprise est dirigée vers la satisfaction du client :

le lecteur, pas les actionnaires ni les publicitaires. « Le Canard a toujours été partisan d’une saine méthode : trouver des lecteurs plutôt que des annonceurs » (P.5).

Le Canard enchaîné ne manque pas une occasion de mettre ses clients à l’honneur : « Le Canard sait ce qu’il doit à ses lecteurs, qui sont aussi ses amis et ses complices. C’est leur fidélité, leur confiance qui lui ont permis d’affirmer son succès, puis de multiplier son audience » (P.326). Il s’excuse systématiquement auprès d’eux d’une augmentation de ses tarifs, prenant soin de l’expliquer et de promettre « d’appréciables compensations dans la présentation et la rédaction » (P239), ainsi que de ses défauts et erreurs (la rubrique « pan sur le bec »), qu’il en soit responsable (dès le 2ème numéro, Maréchal s’excuse du mauvais tirage et du mauvais papier du 1er) ou pas (s’agissant de perturbations dans la distribution liée à des grèves par exemple). C’est d’ailleurs parce qu’il ne peut pas justifier une hausse de son prix tout en publiant d’importants bénéfices, que son tarif est inchangé depuis le passage à l’Euro fin 2001 (interview de Claude Angeli en 2020 sur France Culture).

Ce client n’est toutefois pas "Roi" du Canard Enchaîné qui se justifie par exemple de poursuivre « son rôle de contre-pouvoir » après l’alternance du 10 mai 1981, concluant : « S’il en était autrement, ou bien c’est nos lecteurs qui se seraient trompés de journal, ou bien c’est nous qui nous serions trompés de métier » (P.341).

 

Une limitation assumée de son action à « son » produit « unique », clairement identifié et valorisé par ses clients :

Le Canard fit quelques essais de diversifications au début des années 1920 ; expériences qui furent autant de fiascos commerciaux : lancement de deux journaux parallèles au Canard, achat d’une salle de théâtre de 1000 places. Il préféra depuis lors se concentrer sur son produit, quitte à vivre « chichement dans les premières années, petitement à certaines époques, mais toujours librement, sans rien demander ni devoir à personne qu’à ses lecteurs » (P.326). Une stratégie d’arbitrage souvent difficile à assumer et à conduire, mais indispensable pour maintenir son avantage à terme, comme le notait Roger Fressoz, son PDG des années 1970 : « Le Canard a changé d’échelle à partir du moment où il a été lu par plusieurs centaines de milliers de lecteurs. Comment répondre à l’attente de publics forcément hétérogènes, comment garder ces lecteurs aux attentes différentes ? Comment sauvegarder l’esprit du Canard ? Cela a toujours été mon obsession » (P.LVII).

Corollaire formel de cette focalisation sur sa formule de journal, la maquette historique en bichromie et les rubriques du journal n’ont quasiment pas évolué au fil du temps et le papier reste le support unique de l’information ; le site internet du journal n’est qu’administratif (nota : une version numérique du journal existe aujourd'hui).

En revanche, côté atelier d’imprimerie, en dépit de sa nostalgie du « marbre », le Canard Enchaîné n’hésite pas à investir dans les « techniques de pointe (de la) photocomposition » en 1982 (P.358). 

 

Le maintien d’un modèle juridique et productif entièrement cohérent qui rend son imitation par les concurrents très difficile ou nécessairement partielle.

On note parmi ces facteurs clés de succès interdépendants :

1/ L’indépendance du journal à l’égard de tout actionnaire externe. Les 40 salariés (dont 30 journalistes) sont les seuls actionnaires de la société (une SAS), conformément au vœu de M. Maréchal, mais ces actions « ne peuvent être vendues, ni transmises à des tiers. Après le départ du salarié, les actions sont redistribuées à l’intérieur du journal (…) et aucun dividende n’(a) jamais été versé » (P.628).

2/ L’indépendance du journal à l’égard de tout créancier externe (« jamais le Canard n’a emprunté un centime à une banque » - P.628), ou annonceur (quelques publicités ont toutefois été insérées dans certains numéros au début des années 1920), ce qui lui garantit la plus grande liberté éditoriale, car « l’indépendance d’un journal commence par celle du tiroir-caisse » (P.5).

3/ Des relations personnelles avec un réseau d’informateurs des milieux politique et administratif, qui reposent sur « un travers de la nature humaine : quiconque sait quelque chose veut qu’on sache qu’il le sait, donc il le dit ! » (P.L) et la certitude que l’anonymat sera respecté par une longue tradition de défense du secret des sources.

4/ Un travail d’investigation et de vérification scrupuleux de l’information vécu comme une prêtrise. «Tu comprends, confessait (R. Fressoz), quand il y a une connerie dans le Canard, je ressens comme un coup de poignard, là, dans le ventre » (P.485). Par ailleurs, « l’information n’est jamais neutre : on nous la donne soit pour se valoriser, soit pour déprécier un adversaire, ou pire, un ami » (P.LI). Avant son embauche, un journaliste doit « avoir fait ses preuves ailleurs » et il est pris « à l’essai » pour vérifier qu’il est un « bon chien de chasse » (interview de Claude Angeli en 2020 sur France Culture).

 

Une culture d’entreprise très affirmée qui réunit tous les collaborateurs.

Elle est caractérisée par :

1/ Des rituels : les deux conférences de rédaction hebdomadaires (mercredi après-midi et lundi matin) qui se tiennent debout et sont « souvent animées et fertiles en grands moments d’éloquence comme en furieuses prises de becs » ; « l’en-cas généreux de fromages, jambon et fruits » le lundi soir à la mi-temps du bouclage et après le bouclage, le déjeuner du mardi entre 15 et 18 heures, dans une brasserie de Montparnasse (P.629).

2/ Des adages « La liberté de la presse ne s’use que quand on ne s’en sert pas » (en dernière page de chaque numéro); « le Canard n’est ni de droite, ni de gauche, il est d’opposition » (P.5) ; « Tu (la censure) auras mes plumes, tu n’auras pas ma peau » (P.14).

3/ Un code de bonne pratiques professionnelles : « la mauvaise humeur est toujours considérée comme une faute professionnelle » (P.629) ; il n’y a pas de portes dans les locaux et « même le « bureau des chefs » (le directeur, l’administrateur et les 2 rédacteurs en chef qui partagent d’ailleurs la même pièce) est grand ouvert ; les journalistes doivent refuser toute invitation « venant de personnes qui détiennent un pouvoir public en France » (P.358).

4/ Un code de bonnes pratiques personnelles : un journaliste doit refuser la légion d’honneur et surtout « il ne fallait pas la mériter » ; il ne doit pas non plus prendre parti pour des milieux d’extrême droite (P.99). Les journalistes (et les « chefs » en particulier) doivent rester discret et refuser de « jouer les vedettes et de participer au journalisme-spectacle » (P.485).

 

Depuis ses débuts, Le Canard se moque volontiers de ses concurrents…

et affiche d’autant mieux sa différence, quitte à les piéger par de fausses nouvelles, comme le canular du sous-marin "Deutschland" en juillet 1916 (P.21). Il pointe régulièrement les conflits d’intérêts de ses confrères, récemment leurs déboires sur internet face à google (Le Canard enchaîné – 30/10/2019) ou tout simplement leurs coquilles recueillies dans les rubriques « à travers la presse déchaînée » et « rue des petites perles ». A contrario, il n’oublie pas de souligner son propre professionnalisme et ses vertus, par ex. lors des événements de 1968 : « Le Canard, comme toujours, a préféré observer la règle » (P.221). Il s’attire naturellement des attaques en retour, comme celles de l’Humanité qui stigmatise Le Canard, « champignon vénéneux se nourrissant des scandales quotidiens de la société d’aujourd’hui » (P.316) à l’occasion du suicide de Robert Boulin en 1979, puis à nouveau lors de celui de Pierre Bérégovoy en 1993, où il répond « n’avoir enfreint aucune règle déontologique (…), n’avoir commis ni faute professionnelle ni faute morale » (P.407).

 

Des coups d’éclats qui ont fait la publicité du canard.

La publication de nombreux scoops (depuis le canular de 1916 jusqu’à l’affaire Fillon), en passant par l’affaire des faux plombiers et vrais poseurs de micros, en 1973, qui donne au journal un « retentissement planétaire : toutes les télés du monde se sont précipitées dans les locaux encore en travaux (…) pour filmer le trou laissé » (P.268).

Ces révélations ne vont pas sans risque pour les journalistes que l’on a tenté de déstabiliser « sur le terrain de la vie privée » (interview de Claude Angeli en 2020 sur France Culture qui « n’en dira pas plus ») et pour l’entreprise elle-même, régulièrement attaquée : BOUYGUES lui réclame par exemple 9 millions d’Euros de dommages et intérêts (un record absolu pour la presse) en 2012, avant d’être entièrement débouté (P.575).

 

De bonnes relations sociales malgré une gestion économe de l’entreprise.

Les salaires sont « bons » (Claude Angeli, directeur de la rédaction de 1991 à 2012, gagnait 15 000 Euros par mois en fin de carrière - interview de Claude Angeli en 2020 sur France Culture) et « en progression régulière » à l’ancienneté, il y a un chèque de fin d’année, mais « il n’y a pas de voiture de fonction, chacun n’a pas sa secrétaire » (interview de Claude Angeli en 2006 sur France Inter).

 « La seule mondanité - et les seuls frais inconsidérés - » est le cocktail du Canard qui a lieu au printemps chaque année, où il « ne lésine ni sur le cadre – une belle galerie de salles fleuries donnant sur un somptueux jardin – ni sur le champagne » (P.629).

Il n’y a pas de représentant du personnel, ni de représentant syndical (interview de Claude Angeli en 2020 sur France Culture).

Le directeur général, élu par les actionnaires (salariés), est très stable : les 5 directeurs qui se sont succédés entre 1915 et 2017 ont duré 20 ans chacun en moyenne.

A la mort du dessinateur Moisan, le Canard notait que « dans notre chênaie désolée (…), nous savons bien que de jeunes arbres poussent » (P.359).

Le Canard Enchaîné 101 ans

Tout ce qu’on ne m’a pas appris à l’école - Alain CAYZAC - Editions du moment 2014.

Après avoir notamment travaillé chez Procter et Gamble, A. Cayzac rejoint en 1972 l’agence de publicité RSCG dont J. Séguéla est l’associé le plus connu. L’agence sera rachetée par HAVAS en 1993 pour devenir EURO RSCG, puis HAVAS WORLDWIDE en 2012. « Ce livre, passage de témoin d’une vie professionnelle difficile, mais ô combien riche et enthousiasmante, je le conçois (dit-il) comme une digression autour de la nécessité, en dernière instance, de n’écouter que son désir. Même s’ils sont bienveillants, fins et sensés, les conseils des autres ne seront jamais au diapason de votre vie » (P.227), mais peut-être pas trop loin quand même…

 

Des clés du succès d’RSCG…

 

• Indiquons tout d’abord qu’A. Cayzac s’est lancé en 1972 dans « un milieu en plein essor, celui de la pub (qui) profite de l’ouverture de la télévision qui la pousse à se renouveler » (P.220). Il connaissait par ailleurs ce milieu comme salarié chez Procter et Gamble qui était un client important des agences de publicité, dominées à l’époque par deux grands leaders : HAVAS et PUBLICIS.

 

L’équipe des associés est complémentaire : un gestionnaire, un créatif, un profil international et A. Cayzac, le « sage de la bande, l’homme de marketing raisonnable, dont l’expérience en matière de grande consommation rassurera les annonceurs » (P.19).

 

• Parmi eux, il rend particulièrement grâce au créatif : « Il faut dire que nous disposions d’un atout de poids : Jacques Séguéla, l’homme aux cent idées à la seconde, qui, s’il en irrite parfois certains, ne laisse jamais indifférent » (P.20). C’est surtout lui qui portera la notoriété de l’agence. Or « la notoriété est un atout redoutable. (…) Grâce (aux) coups d’éclat médiatiques (de J. Séguéla), quand je démarchais un client potentiel, fini les tergiversations et la musique d’ascenseur, on me passait immédiatement le patron » (P.194).

Au sujet de « Super-Séguéla, alias Monsieur Gonflé (…) avec son anglais de collégien et son accent parigot » (P.109), A. Cayzac retient surtout 1/ son indéfectible aplomb : Tout le monde était intimidé « sauf Jacques, dans son élément quelles que soient les circonstances » (P.185). « Nous n’étions pas étranglés par les complexes et, les rares fois où cela nous arrivait, Séguéla nous forçait à les ignorer » (P.108) et 2/ son ubiquité médiatique « Il a parfaitement compris que la société dans laquelle nous vivons n’écoute que ceux qui parlent plus fort que les autres. On peut le déplorer, mais c’est ainsi. Il jette des pavés dans la mare comme il respire. Peu lui importe d’être impopulaire ; il veut avoir voix au chapitre. Comme le dit son fils Tristan : "Il a le génie du oui". Autrement dit, il ne refuse rien à personne et cultive l’art d’être partout, tout le temps. Alors, que les jugements soient sévères, peu importe, puisque l’on s’offusque de ses propos en lui tendant un micro » (P.194).

 

• Toute la culture de l’entreprise visera à se différencier et « pour y parvenir, un seul mot d’ordre, cultiver notre créativité (…). Parfois, nous avons eu la tentation, pour gagner un budget, de revoir notre copie et de rendre un projet plus lisse, plus conventionnel. L’écueil à éviter à tout prix ! A court terme, nous aurions gagné un marché, certes, et de l’argent ce qui n’est bien sûr pas négligeable, surtout quand vous débutez. Mais à long terme… nous serions devenus une petite boutique de plus, sans particularité. Nous avons raté quelques campagnes ; mais en nous distinguant, nous avons gagné la longévité » (P.20). Il donne notamment comme exemple le lancement de la marques-distributeur de Carrefour, qui risquait « de nous interdire de travailler avec les entreprises qu’allait mettre à mal ce projet, c’est-à-dire Jacques Vabre, BSN, L’Oréal et tant d’autres » (P.21).

« Nous avions tellement intégré ce principe, (dit-il), que nous avons imposé nos exigences dès le départ. Les marques savaient que si elles voulaient une campagne ronron, pantouflarde, bien dans le rang, politiquement correcte, il ne fallait pas s’adresser à nous » (P.158).  Et au bout du compte, même leurs improvisations étaient mises « au crédit de (leur) originalité » (P.133) !

 

• Du reste, pour A. Cayzac, l’entreprise n’est pas une école d’humilité face au client. Même si rien ne doit « vous faire oublier (que) le cœur de votre métier (c’est) servir vos clients » (P.223), « le client n’est pas roi. Non, vous n’êtes pas là pour aller dans son sens, mais pour le convaincre (…), car s’il fait appel à vous, c’est qu’il a besoin de vos compétences et qu’il attend d’être contredit » (P.157). Autrement dit, vous n’êtes pas là pour le satisfaire, mais pour réussir avec lui » (P.158).

Cette approche équilibrée de la relation commerciale consolide l’entreprise à terme car « les chefs d’entreprise ne sont pas différents du reste du monde. Ils ont du respect pour les gens qui ont des convictions, des points de vue et, en l’occurrence, un projet pour leur marque (…). Vous pouvez me croire, sur la durée, c’est le bon pari » (P.158). C’est une autre illustration du dicton : « il vaut mieux être respecté qu’aimé » (P.160).

 

• Cette stratégie a par ailleurs une autre vertu, et qui n’est pas des moindres : « travailler en accord avec ses exigences est la seule façon d’y trouver un plaisir » (P.158). Ils chercheront ainsi toujours à évoluer « en adéquation avec (leur) personnalité » (P.133) : « indépendants, originaux, désordonnés, obsédés par l’impertinence, sans crainte de choquer et surtout dévoués à la société » (P.34), « avec l’enthousiasme des garnements qui en ont fait une bonne » (P.133). Aussi, formule-t-il « en tête, l’évidence qu’il faut rester au plus près de soi, de ses désirs et de ses envies, éviter autant que possible de se contorsionner pour satisfaire les attentes des autres (…). Les infidélités que l’on se fait à soi-même sont celles qui font perdre le plus de temps et d’énergie » (P.12). « Non seulement on n’échappe pas à ce qu’on est, mais la sincérité est un atout aussi précieux que rare » (P.181) pour convaincre et pour être « parfaitement bien dans sa peau » (P.188). Notre caractère nous suit en fait tout au long de notre existence : « est-(on) fondamentalement ambitieux, sérieux, généreux, arrogant, agressif, déterminé, serein ? Bien-sûr, ce caractère peut évoluer avec l’expérience » (P.182). « Bien sûr, il y a certains défauts qu’il vaut mieux faire taire » (P.188) (mais) « on n’échappe pas à sa personnalité (et) se maîtriser n’est pas se déguiser » (P.188).

« Pour tenir cette ligne (personnelle), il faut un caractère solide, ne pas craindre l’échec, et de bonnes réserves d’énergie » (P.158). On peut aussi prendre appui sur des modèles. Certes, « le fanatisme presque infantile est le signe d’un criant manque de personnalité. Comme leur nom l’indique, les grands hommes, aussi brillants soient-ils, ne sont rien de plus que des hommes (…) mais je suis désormais certain de la nécessité d’avoir et de se reconnaître des maîtres (en ne prenant) chez eux que le meilleur » (P. 173-175).

 

• Attention toutefois à respecter « certains codes (qui) fonctionnent comme des points de stabilité d’un milieu (même si) vus de l’extérieur, ils peuvent sembler absurdes, idiots, parfois même néfastes » (P.179). Qu’ils s’agissent d’un « tempo unique », de « traditions spécifiques », d’une « institution », ils « se rappellent à vous si vous avez omis de les saluer » (P.178). "Faire autrement" est dès lors perdu d’avance. « Il est bien plus malin de négocier avec eux que de les rejeter en bloc » afin de faire « comme les autres (mais en mieux) » (P.179). « Alors, conclut-il, avant de vous attaquer aux montagnes, commencez par déplacer le caillou, juste à vos pieds » (P.177).

 

• A. Cayzac souligne la nécessité d’avoir une grande ambition de long terme qui domine les contingences du quotidien, car « avancer au jour le jour n’a jamais permis d’aller bien loin » (P.24). « Il était (donc) établi dès le début que nous prendrions toutes nos décisions dans le dessein de devenir le troisième géant du marché de la pub » (P.20). En étant « dopé à l’ambition (…) il est bien sûr hors de question (…) de devenir une petite agence française parmi d’autres et de se contenter de résultats satisfaisants. Ce que nous voulons, c’est nous imposer parmi les grands » (P.19).

« On ne manqu(ait) (donc) pas de morgue », dit-il, et « si l’on (voulait) rester autonomes, il nous (fallait) progresser » (P.222). Du reste, « notre vocation, depuis toujours, c’(était) d’atteindre les grands budgets internationaux, et donc d’être présents dans le monde entier » (P.223). « Depuis toujours, on veut être les premiers – oui, rien que ça » (P.224).

Parvenir au sommet ne devait plus être qu’une question de temps, car « gravir une montagne, ça n’est jamais qu’une succession de pas » (P.15) qu’il estime être à la portée de tous : « Je me suis aperçu de la simplicité qui caractérise les choses capitales » (P.12), dit-il, et  « croyez-moi, on est souvent bien meilleur qu’on ne le pense » (P.15).

 

• Contrairement aux autres agences qui adoptaient une structure pyramidale, miroir de leurs clients, ils ont construit leur organigramme en partant des besoins des clients.

« L’idée était simple : dans un processus de création, on a besoin de trois expertises, la réflexion, la création et la production. Autrement dit, un annonceur doit avoir trois interlocuteurs : un commercial stratège, un créatif et un gestionnaire. En partant de ce principe-là, nous avons conçu une organisation totalement horizontale. Au lieu d’encadrer des gens responsables de tout mais experts en rien, on travaillait avec des gens responsables et experts dans leur domaine (et seulement dans leur domaine), capables d’être en contact avec n’importe quel échelon hiérarchique du client » (P.133). « Imaginez la stupeur de l’assistant tout juste sorti de l’œuf apprenant que la star planétaire Jacques Séguéla veut lui parler au téléphone » (P.134).

Ce modèle permettait en outre d’ « alléger les coûts de fonctionnement interne, de gagner du temps et (…) de rompre avec le conformisme » (P.133).

 

… et des causes de l’échec d’RSCG

 

• La "faillite" finale d’RSCG tient directement à « une politique de développement trop risquée et un endettement difficilement supportable (même si) les fondamentaux de l’entreprise restaient sains. Malheureusement, nous manquions de temps pour nous reconstruire ; les banquiers ne nous laissaient pas reprendre notre souffle » (P.145).

Investir renferme toujours un dilemme car « dépenser beaucoup ne garantit pas le succès, mais dépenser peu garantit l’échec » (P.40). Alors, si « l’optimisme est (…) une clé de la réussite, comme toujours, la sagesse réside dans la mesure (car) l’optimiste comme le pessimiste sont victimes d’un défaut de vision » (P.146). Il ne faut pas se voir « trop beaux (ni laisser) notre enthousiasme (même légitime) dégénérer en présomption (…). Se voir guéris alors qu’on (est) simplement convalescents » (P.145). « Ne pas vivre dans l’angoisse, certes, mais, surtout, ne pas verser dans l’insouciance » (P.146). Il faut aussi savoir « ranger notre optimisme au vestiaire et obéir au sacro-saint principe de prudence » (P.145). D’autant plus qu’« on peut parfaitement se montrer bon quelque part et mauvais ailleurs » (P.114).

 

• Il note à ce sujet, plus foncièrement, que « notre culture était si forte que nous ne recrutions que des gens qui avaient notre profil : indépendants, originaux, désordonnés, obsédés par l’impertinence, sans crainte de choquer, et surtout dévoués à la société. Autrement dit, nous étions tombés dans le piège de l’endogamie. Piège qui s’est refermé avec notre entrée un peu forcée dans le groupe Havas. Une des grilles de lecture de cette issue peu glorieuse est qu’il aurait fallu s’ouvrir à des profils plus conventionnels, qui se seraient sans nul doute montrés moins inconditionnels de l’entreprise mais lui auraient peut-être sauvé la vie en évitant les problèmes financiers qui l’ont coulée » (P.34).

 

• Il faut savoir s’arrêter au bon moment, pour ne pas manquer l’occasion de devenir, par exemple, « des milliardaires, à l’abri jusqu’à la fin de nos jours » (P.51) en vendant au bon moment, avant que « l’histoire se termine mal. Lorsque nous avons dû vendre, en 1991, nous l’avons fait pour le centième du montant que l’on nous proposait dix ans plus tôt. Surtout, nous nous somme fait  manger par l’ennemi héréditaire : Havas. La signature avait des airs de capitulation. Mais mon principal regret, (dit-il), au-delà de ce que cette défaite avait de personnel, concerne nos collaborateur (2000 à l’époque). Tous ceux qui nous avaient suivis jusqu’alors ne juraient que par RSCG, où la culture d’entreprise était extrêmement forte. Ils nous avaient fait confiance, voilà que nous les livrions à l’ennemi – j’exagère à peine mon sentiment d’alors » (P.51). « Je ne crois pas me tromper en disant que la moitié de la salle était en pleurs » (P.52).

 

• D’une troisième carrière (à la Présidence du PSG) qui se terminera mal elle aussi, A. Cayzac retient qu’il faut garder son indépendance d’esprit et aussi d’action. Or, à cet égard, « la popularité peut faire figure de cadeau empoisonné. Une drogue qui, comme toutes les drogues, vous dicte votre comportement. Cercle vicieux, effet pervers, prédiction autoréalisatrice, autant de façons de désigner le fait que l’on se conforme souvent à ce que l’on attend de nous. Il faut être drôlement solide pour accepter de décevoir ceux qui vous soutiennent » (P.38).

 

De la direction d’entreprise

 

• « L’autorité naît de la compétence et de l’admiration, pas de l’intimidation. En montant sur les tables pour hurler qu’on est un chef et en se comportant comme un petit caporal, on aura juste prouvé qu’on est indigne d’être un leader (…). C’est une place qui se mérite à chaque instant. Comment ? En étant bon, tout simplement. En prenant des décisions que vos collaborateurs n’auraient pas su ou pas osé prendre. En suscitant l’admiration. Rien que ça ? Eh oui. Et le pire, c’est que ça ne se maîtrise pas vraiment. Les grands chefs ne se préoccupent pas tant de savoir s’ils sont des chefs ; ils le sont, tout simplement » (P.64). « Dans le management comme ailleurs, la forme ne compense jamais le fond. On est bon ou on ne l’est pas… » (P.66).

« Quand j’ai commencé à avoir des responsabilités dans la publicité, je me suis efforcé d’être un patron plutôt que d’en avoir les apparences. J’étais obnubilé par le fait de mettre mes collaborateurs à l’aise, sans trop en faire pour autant dans la décontraction. J’espère y être parvenu. J’avais appris avec mes propres chefs qu’on a envie de se défoncer pour quelqu’un, quand on est certain de sa compétence, et non de sa soif de pouvoir (…) Celui qui communique, qui prend le temps d’expliquer ses décisions, à un pouvoir plus grand que celui qui éructe, malgré les apparences » (P.67). Du reste, plaisante-t-il, « les hommes, c’est comme les spaghettis, ça se tire, ça ne se pousse pas » (P.64).

 

• Attention toutefois à ne pas trop s’exposer. Il faut réfléchir « dans le silence de sa conscience » (P.91) à ses faiblesses et à ses erreurs, mais il ne faut pas les clamer, car « en communication, le second degré est un jeu dangereux. On croira ce que vous dite, point à la ligne. En espérant avoir l’air modeste, le plus souvent par coquetterie que par honnêteté, vous aurez juste l’air faillible » (P.91).

Ceux qui s’exposent ainsi, « loin de s’attirer la sympathie (…) se sabordent d’emblée » (P.92). « C’est un fait, l’humilité n’est pas médiatique. Si vous pensez qu’elle va vous rendre plus humain, détrompez-vous. Elle vous rendra juste plus fautif aux yeux du monde » (P.93).

 

• Comme toute personne qui s’engage, les dirigeants « qui souhaitent faire entendre leurs convictions, avoir des responsabilités, aient bien en tête qu’ils n’en sortiront pas indemnes. C’est en tout cas mieux que de se taire, de ne rien faire, de rester au chaud derrière le troupeau » (P.217). « Cela vaut aussi, bien sûr, dans des cercles plus restreints, sans qu’entre en jeu aucun phénomène de médiatisation. Au sein d’une entreprise, d’une famille, d’une association, en rendant publics un travail ou un avis, en s’engageant un tant soit peu, on va nécessairement avoir des détracteurs. C’est inutile, et même déplacé, de s’en plaindre ; le tout est de se préparer à les affronter » (P.216). « (…) La presse accentue toujours ses jugements : il faut bien vendre, et la tiédeur laisse tout le monde… froid » (P.215).

 

• A. Cayzac note que la gentillesse peut être « la plus imparable des armes (…) à la fois sabre et bouclier » (P.25), suscitant « notre éternelle reconnaissance, et notre envie de crever les plafonds pour (celui qui nous traite avec autant d’égards) » (P.60).

Mais il insiste aussi sur l’obligation impérative de sauver son orgueil, de ne pas perdre la face, de se défendre contre ceux qui vous nuisent, soit qu’on vous dénigre ou qu’on vous calomnie, soit qu’on vous provoque ou qu’on vous ridiculise, soit qu’on vous cause un dommage financier.

 

Il donne de nombreuses raisons de ne pas se laisser faire…

1/ « Montrer clairement que (l’on) ne compte pas (se) laisser faire (…) est le meilleur moyen que j’ai trouvé de rester tranquille » (P.95) ;

2/ Le pardon ou la passivité sont interprétés comme des marques de paresse, voire de faiblesse ;

3/ Ils poussent les importuns à revenir à la charge : « je connais peu de gens qui, après qu’on leur a pardonné, réfléchissent en leur âme et conscience à la cruauté, la bêtise ou l’inutilité de leurs actes, puis font leur mea culpa. J’en connais malheureusement bien plus qui donnent une autre claque, pour être sûr que vous êtes bien à terre et que la voie est libre » (P.96) ;

4/ Si l’on ne fait rien tout de suite, on « rong(e) (son) frein des années durant » (P.96) ;

5/ « Une fois que vous êtes (battu), vos préceptes éthiques paraissent soudain moins glorieux » (P.97) ;

6/ Le « combat des chefs » est toujours précédé d’un « combat de coqs » et « si vous ne montrez pas à l’adversaire que vous êtes là et bien là et que vous ne vous coucherez pas devant ses intimidations, vous êtes mort » (P.97) ;

7/ « Se laisser malmener est un jeu dangereux. On finit toujours au sol. Difficile, alors, de se relever » (P.100) ;

8/ Si l’on aime la difficulté, A. Cayzac note « qu’il est plus difficile de se défendre que de se laisser faire » (P.95).

9/ « Et tant pis si les agressifs sont souvent malheureux : avant de les prendre en pitié, je les chasse de mon périmètre. Il sera toujours temps de les plaindre quand ils seront loin » (P.95).

 

… et quelques conseils pour se défendre :

1/ Ecarter le « sentiment d’être "au-dessus de ça" et prendre au contraire « solennellement la décision de raconter (l’)histoire en nommant le coupable chaque fois que l’occasion se présenterait » (P.97) ;

2/ Ne « jamais lui serrer la main » (P.97) ;

3/ Ne pas pardonner, même s’il présente ses excuses : « attaque publique, excuses privées » (P.97) est un procédé trop facile ;

4/ Ne faire « aucun cadeau » financier et chercher au contraire à obtenir le maximum de compensation (P.100) ;

5/ « Même si (votre) estomac (fait) la taille d’un dé à coudre » (P.100), il faut « n’avoir l’air ni catastrophé ni en colère » (P.99), comme « fait d’acier » (P.100).

 

• S’il n’y a donc pas d’accommodement possible avec les malfaisants, ce n’est pas le cas de ceux qui ne partagent nos goûts ou nos idées. « Il n’y a rien de plus normal que de ne pas s’entendre avec quelqu’un (et) les inimitiés sont le lot quotidien » P.208).

On préfère en général « trait(er) les tensions à la légère, en les prenant pour des épiphénomènes solubles dans le temps » (P.211), et souvent pour de bonnes raisons : la pudeur, la politesse, le respect de la hiérarchie, la timidité, la porte ouverte à des dérives plus lourdes, la peur, le manque de liberté… Or pour « que le conflit ne se transforme pas en guerre » (P.208), pour que « les petits ruisseaux (ne se transforment pas) en Grand Canyon » (P.211), il vaut mieux « affront(er) les problèmes » (P.205), mettre les divergences « sur le tapis » (P.208), « faire le pari de la collision » (P.211), croire « dur comme fer dans les vertus du dialogue » (P.208). « Ma nature optimiste me pousse toujours à croire possible une discussion apaisante, en tout cas clarifiante, autour d’un café » (P.205).

« Les sujets qui fâchent sont vicieux : plus on les évite, plus ils fâchent » (P.205). Même en matière d’amitié, souligne-t-il, « trop de complaisance nuit à l’amitié. (…) Bien au contraire, une relation se nourrit. En la sanctuarisant, on la pousse à se dessécher (…) Je trouve toujours horripilant cette incapacité qu’ont certains de critiquer leurs amis » (P.46).

 

• Le dirigeant doit cultiver l’esprit critique : « Un point c’est tout ? Voilà qui (doit) échauffe(r) notre esprit de contradiction » (P.221). A contrario, A. Cayzac nous met en garde contre la « bêtise », les « poncifs », les « grossièretés banales », les « clichés », les « lieux communs », tout ce qui vient de « quelqu’un qui n’y connaît rien » et généralement les « cons » derrière lesquels on trouve « une figure quasi immuable, la généralisation abusive (…). Autrement dit, au lieu de déduire un cas particulier d’une vérité générale, on déduit absurdement une généralité d’un exemple ; on pourrait dire, une certitude d’un indice » (P. 140). Pour réagir, inutile d’avancer des « développements argumentés. Non, il suffit de pointer les incohérences. J’ai remarqué que, souvent, les cons ont des obsessions, et aucune suite dans les idées » (P.141).

 

• Il faut être attentif à sa première impression car « c’est souvent la bonne » (P.111). Il rencontre ses futurs associés séparément (J. Séguéla et B. Roux) et a « tout de suite su que nous étions faits l’un pour l’autre. La décontraction du ton, sa façon d’aller droit au but sans s’encombrer des banalités d’usage - il ne me pose pas de question sur mon parcours professionnel, par exemple, puisqu’il en sait déjà beaucoup -, de privilégier la personnalité aux compétences techniques, la facilité déconcertante avec laquelle on saute d’un sujet à l’autre, cette complicité immédiate… Autant de détails qui font que nous comprenons que, malgré notre passé très différent, on a la même ambition, le même monde imaginaire » (P.113).

 

• Mieux vaut un dirigeant trop envahissant, « au courant de tout ce qui se passe dans son entreprise (…) quitte à susciter des courts-circuits » hiérarchiques, qu’un dirigeant parachuté « dans sa tour d’ivoire ». A. Cayzac partage ainsi l’avis de Francis Bouygues qui « avait érigé en principe de management le précepte selon lequel "pour bien diriger, il faut se mêler de tout". Comment bien piloter ce que l’on ne connaît pas, ou que l’on connaît mal ? » (P.132). Et de souligner à cet égard l’avantage du « management à l’américaine. On commence en bas de l’échelle avant de grimper les échelons » (P.132).

 

• « Le propre d’un dirigeant est de savoir faire face aux situations complexes, et même de les anticiper (…) : si le fleuve coulait tranquille, vous ne seriez pas là » (P.148). « Le professionnalisme consiste aussi à savoir s’adapter à un environnement aléatoire, à tirer parti des situations les plus pénibles » (P.149). D’ailleurs, « les situations ne sont jamais 100% favorables. Un contexte de croissance galopante, des salariés motivés et soudés, aucun ennemi, des concurrents médiocres… Personne n’échoue dans ces conditions, et pour cause : elles n’existent pas » (P. 148). Comme dans le foot, « la malchance et les fautes d’arbitrage s’équilibrent sur une saison (et) en fin de course, je crois, les bons seront tous passés à travers les mailles des petites injustices » (P.149).

 

• En cas d’échec grave, inutile de « maudire ce qu’on ne maîtrise pas» (P.150), ou plus. Et peut-être même est-ce inutile de chercher à identifier ses erreurs toujours confuses. S’agissant de sa présidence du PSG, A. Cayzac dit en effet : « En vérité, je ne nie pas avoir fait des erreurs, mais je ne parviens pas à les isoler (…). Quand je me remémore mes décisions à la lumière de mon échec, aucune ne me semble évidemment et clairement mauvaise. Si c’était à refaire, je reprendrais la majeure partie d’entre elles » (P.148). Il faut surtout que vous « consacr(iez) votre énergie à vous remettre en cause, pour rapidement passer à autre chose » (P.147).

Face à l’échec, il y a « trois solutions, (dit-il) : flight, fright, fight. Tire-toi, planque-toi, bats-toi. Autrement dit, prendre les quelques billes qui peuvent être sauvées et se faire la malle le plus vite possible ; se laisser porter, tétanisé ; ou faire en sorte de transformer une mauvaise nouvelle en bonne nouvelle. Bien-sûr, tout le monde préconise la dernière attitude ; la difficulté réside dans le fait de ne pas se laisser noyer par l’angoisse » (P.56). Il cite à cet égard W. Churchill : "le succès, c’est la capacité de passer d’un échec à un autre en conservant son enthousiasme" (P.55).

 

• « Seule l’intégrité paie à long terme » (P.167). A contrario, « un jour ou l’autre, les malversations sont punies » (P.167), « tout finit par se savoir (et) impossible de faire du business si l’on suscite de la méfiance » (P.168).

Ceci dit, A. Cayzac ne confond pas l’honnêteté, qui « donne, en prime, bonne conscience » (P.171), avec l’ingénuité, ni même avec les « moralisateur(s) (…), des Monsieur Propre, toujours là pour enfoncer ceux qui sont déjà à terre » (P.170), ceux dont Charles Péguy disait qu’ "ils ont les mains propres mais (qu) ils n’ont pas de mains" (P.170)

Son modèle d’entrepreneur est entre les deux, volontiers « mauvais joueur, ça oui, mais pas tricheur » (P.170), et même pas « borderline, comme disent les Anglo-Américains » (P.167). Il a « l’esprit de compétition (l’)intuition du marché, (la) capacité à changer de terrain à temps, (est) malin, (sait) sentir les brèches, rompre avec les habitudes, (…) surprendre en prenant des chemins de traverse » (P.167), « négocier (…) pied à pied, pendant des semaines, utiliser le bluff, la séduction, les médias pour arriver à ses fins, (est) très dur en affaires » (P.169), mais sans « mépris de la loyauté » (P.167).

« Sur dix patrons, (dit-il), on en compte huit d’honnêtes et bien intentionnés, pour deux obsédés par leur enrichissement personnel »  (P.81).

 

• Si le dirigeant n’est pas majoritaire en droits de vote, il faut bien qu’il se rappelle que c’est toujours l’actionnaire majoritaire qui aura le dernier mot. Cela semble contre-nature. En effet, « Lorsqu’on dirige une entreprise, on y consacre la majeure partie de son temps, c’est-à-dire sa vie. Ça n’est pas rien. Tout naturellement, elle devient votre bébé. Or, (…) un actionnaire n’accepte jamais de se sentir dépossédé » (P.73). « Celui qui tient les cordons de la bourse, même si personne ne connaît son nom, est le seul vrai décisionnaire » (P.75).

La seule solution pour (le manager) est de désamorcer les conflits potentiels, car « s’il est tout à fait possible de convaincre un actionnaire, il est impossible de le contraindre (…). Il y a des luttes qu’il vaut mieux se dispenser de mener » (P.75).

 

Des salariés

 

• « Le monde de l’entreprise (…) est un autre genre de sport collectif » (P.103) d’où résultent 3 constats :

« Toute victoire est collective » (de sorte qu’) « un leader fort sans équipe derrière lui n’est rien » (P.104).

Parfois, « le collectif est tiré par quelque individualités » (P.104), mais ce n’est même pas toujours le cas. « Certaines équipes de foot ne comptent aucun élément exceptionnel et obtiennent pourtant d’excellents résultats : "le collectif est bien en place ", comme on dit dans le foot » (P.104).

« C’est la raison pour laquelle la communication interne a tant d’importance (…). Mettre en valeur le collectif n’est pas qu’une stratégie de management ; c’est avant tout une manière de regarder la réalité en face. Toute réussite résulte de l’alchimie entre différentes composantes » (P.104).

 

• Ces bons coéquipiers, il les décrit comme « simples et sincères. Ceux qui paraissent au clair avec eux-mêmes (…) ceux qui n’arrivent pas en pays conquis (…) qui partent du principe que leurs intervieweurs sont plutôt bienveillants (…), les honnêtes, les concernés, même s’ils sont maladroits » (P.156), ceux qui ont « l’intelligence des situations » (P.152). « On ne cherche pas à recruter un enfant. On veut un adulte fiable » (P.153).

Dans tous les cas, il faut s’entourer des meilleurs, pas « les faire-valoir, les "porteurs d’eau", comme on dit dans le tour de France » (P.189), mais le « talentueux, très intelligent, (qui)  a été formé à très bonne école (…), (dont le) parcours vous impressionne (…), quelqu’un de rare, avec une vraie personnalité, qui n’a pas peur d’amener la controverse (…), plus moderne (…), plus en phase avec la société, (…) (qui) a une énergie débordante, et (…) la réputation d’être dur à gérer, comme la majorité des bons » (P.190-191).

Ce sont eux qui renforcent l’entreprise, mais aussi le dirigeant lui-même, y compris s’il est salarié et qu’il risque de se faire prendre sa place. En effet, « annoncer d’emblée la couleur (= les qualités du candidat) est un signe de confiance en soi » (P.191) et « en faisant la preuve de votre flair de recruteur, vous aurez vous-même pris du galon » (P.190).

 

• Bien qu’il nous mette en garde contre l’endogamie (V. supra), A. Cayzac insiste sur la parenté de style, de culture qui facilitera l’intégration. « Pour moi, un bon collaborateur n’est pas seulement compétent. Il doit aussi coller à la culture de l’entreprise. Pour entrer chez RSCG par exemple, il fallait se sentir à l’aise dans un environnement libéré, un peu bordélique, qui donnait une grande importance au cadre de vie, tout en restant très dynamique et inventif (…). Et ce feeling, on le décèle dans les premiers instants. Quelle est sa tenue vestimentaire ? Comment entre-t-il dans le bureau ? Comment s’assied-il ? Comment serre-t-il la main ? Dès les premières phrases, on peut dire si le fit, comme on dit, est bon » (P.114). Le point crucial est de faire « confiance à votre feeling (pour sentir), à des détails a priori insignifiants et de façon presque inconsciente, si une personnalité colle avec l’esprit d’une boîte » (P. 151).

Or, si l’on est parvenu à se comprendre dans les premiers instants, c’est que l’on se comprendra plus facilement dans la durée – même en cas de désaccord » (P.119).

 

• Mais il va plus loin, constatant qu’on ne peut pas « séparer implications personnelle et professionnelle » (P.83). D’ailleurs, « à raison de dix heures par jour, l’excès d’investissement vaut mieux que la froide indifférence » (P.89).

Il faut donc « épous(er) votre profession. Tomb(er) amoureux du produit que vous défendez (…) sans condition » (P.84) car, dit-il,  « aucune technique de vente n’est fiable si l’on n’est pas soi-même persuadé du fait que le mieux qui puisse arriver à son client, c’est d’acheter ce produit » (P.83).

A contrario, « si je ne suis pas aficionado, c’est que je suis hostile, en tout cas très critique » (P.84). Or, si vous n’avez pas cette corporate attitude nécessairement partiale et excessive, mieux vaut partir « là où vous vous sentirez chez vous » (P.83).

 

• Pour être efficace, il faut être factuel, constructif et bref. « Quels sont les faits et qu’est-ce que tu recommandes ? Voilà la bible de l’entreprise (…). L’expérience m’a confirmé que cette aptitude à foncer au cœur du sujet était extrêmement discriminante. Les bons collaborateurs ont cette inestimable capacité à présenter les problèmes complexes comme s’ils étaient simples – et de les rendre audibles, en proposant une solution » (P.70)

Il faut donc « faire des notes d’une seule page (…) même pour un enjeu majeur » (P.70)

Dans un exposé, il faut « commencer par la conclusion. Annoncer d’entrée de jeu où on veut en venir, au lieu de commencer classiquement par exposer le contexte, les enjeux (…). Les arguments sont toujours plus pertinents si l’on comprend où ils mènent » (P.70).

 

• Encore faut-il donner le cap à ces collaborateurs, car, « contrairement à ce que l’on pense, je ne crois pas que la liberté totale, où l’esprit vagabonde au gré du vent, soit un facteur de créativité. Au contraire, ce que j’ai observé dans ma vie professionnelle, c’est que l’absence de règles est tétanisante » (P.125). « Sans (…) indications, aucune branche à laquelle se raccrocher, aucun mur contre lequel faire rebondir la balle » (P.126). Dans une agence de publicité, c’est le "brief" stratégique préalable qui résume la promesse, la justification et le ton d’un produit qui permet aux créatifs de réfléchir à l’exécution. De même, ce sont des horaires de travail limités qui apprennent à devenir efficace et à ne pas se laisser déborder.

 

De la publicité

 

• « La cruelle loi de la communication : si l’on veut être entendu, il faut commencer par parler plus fort que son voisin » (P.175). Mais « Choquer pour choquer ne sert à rien ; il faut que la provocation véhicule un message sur la marque, même si c’est juste sur son esprit et pas sur ses attributs concrets » (P.195).

 

• La réputation de l’agence RSCG s’est notamment bâtie sur une remise en cause des principes « scolaires » de la communication, comme le fait qu’« un slogan doit être court » (ou qu’il faut) « proscrire toutes les approches négatives. Vous vous imaginez bien que nous nous sommes empressés de l’ignorer (…). Une seule vraie règle, pas de règle » (P.159).

 

• A. Cayzac présente sur deux pages « la théorie de la marque-personne » (P.182-183) développée au sein de RSCG « pour encadrer (leur) travail créatif », avec pour objectif de trouver en quoi le produit/la marque est unique.

Car à défaut de singularité : pas d’épaisseur, pas de crédibilité et pas de pérennité. En effet, « quand on cherche à ressembler à quelqu’un d’autre, à travestir son tempérament, bref, à se contorsionner pour entrer dans la peau d’un autre, on est sûr de se planter (…) de ne convaincre personne (…). C’est sans appel ». Pire ! « les artifices pour cacher ce qu’on pense être un défaut ont pour principal effet d’attirer l’attention sur ce qu’on aimerait tant voir disparaître ». Mieux vaut au contraire « cultiv(er) vos handicaps. Ils n’en sont que si vous les voyez comme tels. Non seulement à vos propres yeux, mais aux yeux des autres ».

La démarche consiste à déterminer, comme pour un personnage de fiction, les 3 principaux éléments d’une personnalité :

1/ Ses propriétés physiques objectives (performances techniques, origines des matières premières…).

2/ Son caractère, c’est « la valeur imaginaire ajoutée, son ADN (…). C’est là que les études de marché ont toute leur importance : quelle est l’histoire de la marque ? que désire le consommateur ? quel caractère va lui parler ? Pour être efficace, il faut être précis » (la jeunesse éternelle pour Coca-Cola, la séduction pour DIM, la sécurité pour Volvo).

3/ « Le style dans lequel s’incarne ce tempérament : le code graphique, l’emballage ».

« Cette singularité, elle est souvent ténue ; il faut alors ruser, l’amplifier, insister sur son importance ».

« Après, tout est affaire d’équilibre :

  • un physique trop présent, au détriment de l’imaginaire, donne une campagne assommante (…) ;

  • celles qui misent tout sur le style, qui font du charme au consommateur, qui essaient de l’aguicher plutôt que de le convaincre, (…) sont trop superficielles – (à noter qu’)on est plus facilement tenté par la douce pente de la séduction que par la froide argumentation ;

  • Enfin, tout axer sur l’imaginaire en gommant tout rationnel peut conduire à des campagnes éthérées, messianiques, bien loin de l’univers familier du public ».

 

• « L’instinct mène aux bonnes pistes mais (…) il ne permet pas de les suivre jusqu’au bout » (P.182).  Dans la publicité aussi, personne ne réussit sans travailler et « il ne faut pas se fier à ceux qui répètent à qui veut l’entendre qu’ils n’ont pas bossé… Ce sont toujours les premiers de la classe, penchés, chaque jour, sur leurs cahiers jusqu’à la nuit tombée » (P.110). « Quand on voit une affiche sur le trottoir d’en face, et qu’elle est réussie, on se dit qu’elle a été pondue en cinq minutes, tant elle semble évidente. En fait, il a fallu un an pour arriver à ce résultat. Douze longs mois à préparer puis éplucher les études de marché, à visiter les usines pour mieux comprendre le produit, à élaborer la stratégie publicitaire, à la repenser des dizaines de fois pour enfin, dans un dernier temps, faire travailler les créatifs sur des projets destinés à être amendés par le commercial avant d’être testés, et plutôt deux fois qu’une, auprès du public visé. Autant dire qu’on est très loin de la lueur de génie » (P.106).

Plus généralement, « en ce qui (le) concerne, c’est toujours pour préparer une intervention orale qu’(il a) dû travailler le plus dur. Présentations au client, conférences, discours informels lors de soirées, les occasions n’ont pas manqué » (P.107). A défaut, si l’on a « joué gagnant » (P.109), on prend le risque de laisser « son public indifférent, ou pire, narquois » (P.107), et même d’être carrément « tétanisé (par) l’émotivité » (P.109).

Mais « le travail, c’est parfois juste de l’organisation » (P.109), conclut-il.

 

Des fusions d’entreprises

 

• De ses nombreuses opérations de croissance externe et de sa grande fusion avec Havas, A. Cayzac retient que « réussir une fusion demande avant tout beaucoup de pragmatisme » (P.57).

 

1/ A l’intérieur : « Avant de se lancer dans de grands calculs financiers, il faut se poser trois questions de bon sens, qui doivent trouver une réponse très vite, celle des locaux, du patron, du nom (…). Ménager les susceptibilités de chacun s’apparente à un vrai casse-tête chinois. L’avenir de la nouvelle entité passe par les détails les plus infimes. Tel salarié qui avait un bureau pour lui tout seul et qui se retrouve à devoir le partager, tel autre qui partageait le sien avec un grand copain et qui doit s’installer dans un bâtiment différent, un troisième qui perd sa secrétaire de toujours etc. Il s’agit de réussir à réorganiser toute une entreprise sans que personne ne se sente humilié » (P.57)

 

2/ A l’extérieur : « Ce sont tous les clients qu’il a fallu rassurer (…). Pour gagner la partie, rien de tel que d’aller les voir et de leur expliquer la situation par le menu, dans la plus grande transparence, sans promettre la lune mais en s’engageant à faire du mieux possible. Seul ce travail de fourmi pouvait payer » (P.57).

 

En définitive, qu’est-ce qu’on ne lui a pas appris à l’école ?

 

 • Au-delà de ses multiples constats sur l’entreprise, A. Cayzac renouvelle plusieurs fois, au fil de son livre, un commandement d’affirmation et d’exception. « Le secret, c’est de faire taire le boucan assourdissant que font ceux qui pensent savoir ce qui est bon pour vous. Regardez-y de plus près : le plus souvent, ils ne savent eux-mêmes pas très bien ce qui est bon pour eux » (…). Laissez vos propres désirs, vos propres envies, vos propres impératifs couvrir, de leurs hurlements de joie, les préceptes que j’ai cherché à vous transmettre » (P.227). Il faut suivre « vos élans, revendique(r) le droit à l’audace et au déraisonnable et (faire) taire les conservateurs qui ne manquent jamais une occasion d’émettre des avis définitifs » (P.219) : « Tu es trop littéraire pour réussir HEC, trop sérieux pour t’associer avec Séguéla, toi et tes copains avez les yeux plus gros que la tête, le PSG te détruira, et patati et patata » (P.226). L’enjeu est d’être « fier de (soi) », de « franchir encore un pas », d’être « numéro un », d’avoir « le pouvoir », d’ « endosser l’entière responsabilité de (ses) actes », de prendre « quelques décharge d’adrénaline supplémentaires », « d’avoir bu un concentré de vie », et d’être en définitive « toujours heureux d’avoir écouté (son cœur) » (P.219-226). « Chaque fois que j’avais des dossiers lourds et difficiles à gérer et des apparitions publiques programmées dans la journée, je me levais heureux. Tel un drogué, sûr d’avoir sa dose » (P.202). Quant au stress, il « n’est que le versant sombre du désir. Et sans désir, c’est la mort » (P.200), au point que « rien que la perspective de partir en vacances m’angoisse » (P.201), dit-il.

 

• Face à cette incitation lyrique à nous recentrer sur nous-mêmes pour découvrir ce que l’on aime vraiment, le plus grand obstacle émanerait moins de l’école "à la française" (dont il est aussi un "pur produit"), que de la pression du groupe en général. A son encontre, il soutient que « provoquer est la preuve que l’on s’octroie une liberté par rapport au groupe, que l’on cultive l’indépendance d’esprit » (P.194). D’ailleurs, les provocations « amènent toujours (…) au moins un questionnement qui fait que la société ne s’ensable pas dans le conformisme » (P.196). Bref, il n’y aurait pas de salut (entrepreneurial) sans gêner immanquablement quelque part, quelque chose ou quelqu’un et… sans passer outre.

 

• Quant à nous donner le cran de porter cette différence, outre les gratifications susvisées, A. Cayzac nous propose deux pistes :

1/ Faire du sport : « mieux que le Prozac, mieux que dix ans de psychanalyse, mieux qu’une séance de yoga ou qu’une consultation de réflexologie, le sport est la seule véritable parade aux emmerdements de la vie moderne » (P.123). Après un peu de sport, « même aux pires moments, en plein cœur de la tourmente (…), les problèmes sont toujours là, mais miraculeusement moins terrifiants » (P.122).

2/ Cultiver ses racines, même quelques jours par an, « le temps de retrouver (son) centre de gravité » (P.136), permet de mieux se connaître car « on vient toujours de quelque part (…) (et) il y a une forme de suffisance à se croire, littéralement, self made man » (P.137). Cela permet aussi d’être « mieux armé pour affronter les tempêtes (…), comme un arbre (…) grâce à ses racines profondes » (P.138) et permet de mieux vieillir « sans doute pas plus heureux, mais peut-être plus humble et plus responsable » (P.138). Citant Faulkner, il conclut : "Le passé n’est pas mort et enterré. En fait, il n’est même pas passé" (P.138).

Tout ce qu’on ne m’a pas appris à l’école - Alain CAYZAC

De l’exil aux Mousquetaires - Reynald Secher - J.-P. Le Roch - ERS 1995

 

INTERMARCHE, NETTO, BRICOMARCHE, BRICORAMA ou ROADY sont des enseignes du GROUPEMENT DES MOUSQUETAIRES. Son histoire se confond, depuis plus de 50 ans, avec celle de la grande distribution. En voici quelques aspects que l’on peut compléter par un récit très remarquable du "système INTERMARCHE" (spécialement sur sa formule de parrainage financier et sur sa logistique), sur le blog d’un ancien responsable d’entrepôt : https://amelier.blog4ever.com/blog/tous-pour-un-un-pour-tous-le-systeme-intermarche. A noter que je fus aussi salarié de sa holding entre 1995 et 2003.

 

A l’initiative et à la tête du GROUPEMENT DES MOUSQUETAIRES de 1969 à 1994, se distingue un entrepreneur assurément exceptionnel : Jean-Pierre LE ROCH. Son autobiographie autorisée [Reynald Secher – Jean-Pierre Le Roch : de l’exil aux Mousquetaires - ERS 1995], parue un an après sa retraite "officielle", présente largement son parcours et ses conceptions (toutes les citations suivantes en sont extraites, sauf mention expresse).

 

Un homme de combat

 

Les aventures humaines sont toujours le produit du hasard et de la nécessité. A lire son parcours, J.-P. Le Roch semble avoir puisé sa résolution initiale dans une forme de révolte contre « l’inacceptable » (titre du premier chapitre P.11).

 

• L’ "inacceptable" prit d’abord le visage de l’envahisseur et de l’Autorité en général. Lui qui voulait « devenir à la fois noble et populaire, c’est-à-dire ingénieur des Arts et Métiers » (P.212),  connaît à 11 ans l’exode de 1940, « les avions (qui) descendent si bas pour lâcher leur mitraille que la tête casquée de cuir du pilote apparaît dans l’habitacle » (P.31), puis « les Allemands (qui) édictent immédiatement leur loi » (P.31), enfin la déportation de son père qui revient du stalag 3 de Berlin « si fragile et si faible que (son épouse) a du mal à le reconnaître » (P.37).

Entre temps, J.-P. Le Roch a vécu l’internat qui est pour lui « une véritable épreuve de force, un calvaire (…). Sa haine du pensionnat est viscérale » (P.33). Il ressentit enfin, à la Libération, « l‘écœurement né des manœuvres étonnantes de tous ceux qui ont profité de l’occupation » (P.35).

 

• L’"inacceptable" prit ensuite la forme de « l’absurdité d’une vie moyenne (d’après-guerre). (Ses parents et lui) n’ont pas voulu mettre le pied dans la facilité et la médiocrité, lier leur vie aux humeurs d’un chef d’atelier, aux hululements des sirènes d’usines, au rythme de l’étau-limeur ou au nombre de tours minutes d’une fraiseuse (…). Ils ne sont pas faits pour une vie moyenne, une existence sans heurts coincée entre des horaires d’usine, de bureau, des congés payés et des piles de cahiers de fonctionnaires » (P.58), où « il ne reste plus rien des jeunes gens dynamiques plein d’espoirs, de destins, de vies hors du commun (…), achevé(s) au premier bulletin de paye comme l’aventure humaine prend souvent fin sur un quai de métro » (P.94).

 

• C’est enfin l’"inacceptable" misère brésilienne où la famille émigre de 1947 à 1958 pour tenter cette aventure humaine, et dont il dira, 50 ans plus tard : « Affronter un pays comme le Brésil, sans relations, sans parler la langue et sans expérience des affaires est une rude école. Il s’agit réellement d’une école de survie en milieu hostile à un âge à peine sorti de l’adolescence » (P.213). Non seulement « le travail (…) est mal rémunéré, les conditions de logement sont déplorables et la pension de famille où ils vivent est ignoble, dépourvu de tout, à la limite du bidonville » (P.55), mais il y a aussi « le poids de (la) solitude, du déracinement » (P.58) un "mal du pays" dont le récit est d’ailleurs particulièrement poignant car, « l’exil volontaire marque au fer rouge, détruit à coups de cafards, de peine, de solitude » (P.84). Et pour comble, alors « qu’ils n’ont pas l’argent du retour » (P.57), les « fils à papa, des garçons riches et insouciants pour lesquels la vie n’est qu’un long amusement, une histoire d’argent, de jeu, de femmes, de plaisirs » (P.63) le « nargu(ent) cruellement.  (…) Toute sa vie bascule à ce moment-là » (P.69), nous dit-on.

 

• J.-P. Le Roch n’a cessé de répéter par la suite que « le fric n’est pas et ne doit jamais être une fin en soi » (P.209), l’argent n’étant qu’un moyen « de la dignité, de la liberté (…), de ne dépendre de personne, de ne pas être un esclave, de dire merde à tout le monde (…), de ne plus être obligé, comme la quasi-totalité de nos concitoyens de vendre journellement notre travail » (P.209), d’accéder à l’« immense libération morale » (P.78) de celui qui n’est plus prisonnier. « Sans indépendance financière, il n’y a aucune indépendance du tout » (P.148).

Il y a dans ce portrait d’entrepreneur en quelque sorte plébéien, un appel "citoyen" à « lutter contre les grands, les établis, les nantis, les multinationales » (P.209), « le grand monde, les réceptions, les politiciens, les énarques qu’il exècre tout particulièrement (parce qu’ils) tuent la France, leurs discours ne sont que théories, leurs intérêts personnels, ils ne pensent qu’à se reproduire dans une valse effrénée et incestueuse » (P.208). Et le "bon Dieu" lui-même n’est pas loin d’en subir les frais ! « Lorsque cela n’allait pas je n’hésitais pas à l’engueuler, tandis que Marie-Thérèse (son épouse) priait » (P.211).

 

• Ce militantisme, qu’on s’en défie ou non, a insufflé au GROUPEMENT DES MOUSQUETAIRES une très forte culture d’entreprise, déclinée à travers une charte des Mousquetaires et des leitmotiv tels que le « slogan-drapeau (…) : il n’est de richesse que d’hommes » (P.198)  ; « l’indépendance dans l’interdépendance » (V.P.202) ; « ce que vous faites pour les autres (…) porte en soi sa récompense (…) : donnez et vous recevrez » (P.199) ; « la lutte contre la vie chère (…) ; apporter un mieux-être au plus grand nombre » (P.199) ou « la théorie du juste prix » (P.200).

Il n’y est certes plus question de vie ou de mort, de diktat ou de délivrance, mais INTERMARCHE va rester empreint de ce climat d’urgence, celui de « Mousquetaires (qui) partent "en guerre contre la vie chère" » (P.136), de « pionniers » (P.155), de « troupes de choc » (P.205), « des bretteurs, des ferrailleurs » (P.131) qui « lutte(nt) contre (le) "despotisme commercial" » des multinationales (P.137) grâce à une « machine de guerre » (P.214), qui doivent « se libérer de l’emprise de l’administration dévorante et des arides conflits politiques nationaux » (P.166), qui doivent supporter l’ « énorme pression des métiers de la distribution » (P.147), « une industrie non productive, soumise à des agressions constantes et tenue à d’énormes investissements en marchandises » (P.148) où « rien n’est jamais gagné » (P.166).

 

• Sans doute est-il permis de penser que ce « pouvoir de l’esprit » (titre du dernier chapitre P.197) était aussi le meilleur moyen de souder et mobiliser durablement des entrepreneurs (les adhérents du groupement), et qu’il fut d’ailleurs d’autant plus nécessaire que « pour J.-P. Le Roch, la voiture (sa prime passion) a une âme, pas les flageolets » (P.98), « allant même jusqu’à préciser avec le langage qu’on lui connaît "un épicier, c’est con comme un balai" » (P.208).

Il y avait peut-être aussi, à côté de ce récit fédérateur, une réponse à une problématique de différenciation, commune à toute entreprise, et particulièrement difficile, au-delà de l’idéal et de la déontologie, dans un métier de service où chacun épie et copie la moindre initiative technique ou commerciale de ses concurrents.

 

Un homme de projet

 

Sa philosophie d’entrepreneur peut se résumer en quelques postulats. D’abord, « l’être humain est la somme de ses actions et de ses inactions » (P.212). « Arrivé à un stade avancé de son existence » (P.212), il n’aurait plus d’excuse. Ensuite, « toute aventure est risquée, toute conduite de vie est une aventure risquée où il y a peu de certitudes» (P.212).

Or, la peur du risque nous empêche d’oser entreprendre. Comment la surmonter ? J.-P. Le Roch nous donne quelques pistes : « pour agir hors des normes et pour oser, il faut de l’espérance et de la confiance en soi » (P.212). En un mot, « la Foi » (P.213). « Pour agir et créer, il faut une volonté et de l’énergie mobilisées autour d’objectifs simples » (P.212), autrement dit, former des projets clairs.

Dans son cas, dit-il, « le petit technicien est passé directement au "projet" (…). En d’autres termes, au lieu de combiner des tôles et des socles, j’ai préféré combiner des idées et des hommes sur un fond permanent de rêve et d’espoir » (P.213). « Au fond, sans trop m’en rendre compte, j’étais un homme de projets venant de la technique et ma passion, souvent excessive, me pousse sans arrêt à sortir de la routine et des répétitions » (P.213). Un témoignage de son épouse pourrait l’illustrer : « Avec mon mari, nous avons ouvert quatorze points de vente ! Et, généralement, il ne mettait jamais les pieds dans les magasins. Lui, il était le dénicheur. Il trouvait le lieu. Une fois les grandes orientations et les projets validés, il me passait la main » (https://www.lsa-conso.fr/interview-de-marie-therese-le-roch-les-valeurs-des-mousquetaires-sont-toujourspresentes, 195257).

J.-P. Le Roch note enfin que « c’est une vie à risque qu’on ne peut pas conduire seul, (sans un conjoint qui fut pour lui un) modèle parfait pour apporter la stabilité » (P.213). Le GROUPEMENT DES MOUSQUETAIRES aura d’ailleurs pour principe d’agréer des postulants en couple (à noter que J.-P. Le Roch n’évoque pas directement cette règle dans le livre) tout deux étant d’ailleurs cautions personnelles et solidaires de leurs engagements.

 

Un homme d’action

 

• Alors que sa "philosophie" de l’entreprise, et spécialement d’INTERMARCHE, est très largement exposée,  les méthodes de travail de J.-P. Le Roch, sa maîtrise opérationnelle, sont peu développées dans l’ouvrage.

De manière générale, il souligne avoir toujours choisi « la société de confiance (plutôt que) la société de méfiance », quand bien même « cela m’a parfois coûté cher, très cher même, mais en fin de compte moins cher que si je m’étais constamment méfié » (P.211). On peut lire aussi que « l’homme n’est pas toujours facile mais (que) chacun reconnaît que ses grandes colères sont toujours vertueuses » (P.204). A noter que ce dehors autoritaire est aussi suggéré dans les archives du groupement LECLERC (https://www.histoireetarchives.leclerc/a-la-une/histoire-de-l-acdlec-les-fondements-1964-1969-partie-1).

ll a « une très grande mémoire » (P.28) et une « très grande clarté de langage » (P.204). « Il porte toujours sur lui un carnet où il note scrupuleusement (ses idées), habitude qu’il a imposée à tous ses compagnons » (P.211). Les réunions hebdomadaires duraient « une grande partie de la nuit » (P.129). « La logistique était son obsession (se souvient son épouse). Il sortait régulièrement son compas et traçait, devant nous, sur une carte de France, les zones à couvrir » (https://www.lsa-conso.fr/interview-de-marie-therese-le-roch-les-valeurs-des-mousquetaires-sont-toujours-presentes, 195257).

On suppose aussi qu’il surveillait les chiffres de près, « préférant freiner le développement si l’assise financière est insuffisante » (P.147). A un adhérent qui s’inquiétait de ne pas y connaître grand-chose à la comptabilité, il répond : « Ne t’inquiète pas, c’est facile. Il faut que tu mettes en place des manomètres de contrôle. Un ici, un là, un autre ailleurs. Quand l’aiguille bouge dans un sens tout est bien, si c’est dans l’autre sens, ça ne va plus. Il faut que tu surveilles tout ça et ne t’inquiète que si l’aiguille s’affole » (P.125).

Mais, comme tout bon entrepreneur, il savait aussi mettre les chiffres à distance pour ne pas « prendre le problème à l’envers (…) : le coût n’est jamais déterminant en soi, seul le résultat compte » (P.204). « Les comptables étaient (d’ailleurs) pour lui des gens qui n’apportent pas de valeur ajoutée, qui ne sont pas dans l’action » (https://www.lsa-conso.fr/interview-de-marie-therese-le-roch-les-valeurs-des-mousquetaires-sont-toujours-presentes,195257), sans parler des « banquiers frileux » (P.174), « engoncés dans leurs certitudes, hommes si souvent prompts à déployer face au monde des entreprises les barrières du système garantissant leur sécurité » (P.179).

« Il a toujours fui les journalistes, évité les caméras, refusé les honneurs (expliquant que) "pour vivre heureux, vivons cachés" » (P.208).

Inutile de préciser qu’il « a consacré toute sa vie au travail » (P.210),  avertissant sa future épouse « qu’il serait plus utile pour elle et pour son avenir et celui du couple d’abandonner le piano et de se mettre à la machine à écrire ! » (P.85), anecdote assez marquante, que rapporte encore son épouse, 60 ans plus tard, en ces termes : « A l’époque, j’étais professeur de piano. Il me dit : "Puisque tu joues au piano, tu vas apprendre à taper à la machine" » (https://www.lsa-conso.fr/interview-de-marie-therese-le-roch-les-valeurs-des-mousquetaires-sont-toujourspresentes, 195257).

Ajoutons (selon témoins) qu’il tutoyait volontiers chacun dès le premier abord, mais qu’il se laissait vouvoyer. Un salarié qui l’a connu (je fus pour ma part embauché quelques mois après son départ) m’a rapporté qu’il n’hésitait pas à l’appeler directement au téléphone pour avoir telle ou telle précision, sans s’embarrasser de voies hiérarchiques ou formelles. Je me souviens d’ailleurs qu’à mon arrivée, on m’avait transmis un mot d’accueil d’une page qu’il avait rédigé à l’intention des nouveaux venus, où il était question de « faire un bout de chemin ensemble (avec) le moins possible de circulaires, de secrétariat, de tâches administratives, le plus possible de bon sens, d’initiative, de désir d’apprendre et de comprendre (…) ». Ce texte court et concret, au ton très direct et personnel faisait impression. Rien à voir avec le joli « livret d’accueil des collaborateurs », couvert de chiffres et de dates, mais dont les formules convenues dans le style «Bien entendu, nous rejoindre, c’est s’engager à respecter certains principes au quotidien » ou « Enfin, et c’est l’essentiel, vous devez être en permanence à la recherche de l’excellence » etc. n’avaient ni flamme, ni force d’entraînement.

 

• Mais à côté de ces « idées simples, accessibles à tous et facilement applicables » (P.130), de sa démarche toute empirique qui « ne se réfère à aucun modèle existant » (P.141), regroupant des « marginaux qui rejettent à peu près toutes les études connues » (P.121), on entrevoit aussi l’analyste aguerri, curieux des nouveautés, qui a fait « des dizaines de fois le tour du monde » (P.210), qui s’intéresse aux stratégies globales (V.P.188), membre de clubs patronaux [ETHIC autour d’Yvon GATTAZ et Octave GELINIER qui fut le président du CEGOS, le plus grand cabinet de conseil en management français  (Y. Gattaz – Mes vies d’entrepreneur – Fayard 2006 P.107) ; le club des Trente qui réunit des patrons bretons « soucieux de réfléchir ensemble à l’avenir de la région » (P.184)], et qui « a serré les mains des plus grands, fait trembler maints ministères » (P.210), bref, un « simple épicier » (P.208) quand même très peu ordinaire…

 

• Un dernier mot sur l’aventure brésilienne de la famille LE ROCH. Elle réussira finalement, avec « beaucoup de courage et de persévérance » (P.78) à monter un garage Citroën à Sao Paulo. Là encore, le récit mentionne peu de conseils, si ce n’est de « ne jamais dépenser plus que ce qui est gagné » (P.78). On peut toutefois repérer au moins six facteurs de succès : 1/ l’expérience : « on connaît bien notre boulot, le pays et on comprend la langue. On peut démarrer » (P.74) 2/ un marché très porteur, « Sao Polo est toujours la locomotive du Brésil » (P.74) et « la traction avant (Citroën) a acquis le rang de voiture européenne type. C’est un bijou de technique mais également une véritable référence culturelle pour laquelle (le client) se bat » (P.72) 3/ une différenciation par rapport au garage Citroën déjà installé qui « se refuse à travailler en dehors des horaires d’ouverture et de dépanner sur place : c’est le créneau à prendre » (P.77). 4/ une forte publicité générée par l’engagement de J.-P. Le Roch dans des compétitions sur piste et sur route, « une bagarre sportive dont l’éclat rejaillit immédiatement sur le garage » (P.79). 5/ de l’innovation et des investissements comme ces « gros pare-chocs spéciaux qu’il fait chromer chez un ami breton » (P.82) et cette presse de 100 tonnes qu’ils « importent de Suède, (…) permettant le redressement du train et pour laquelle ils exécutent eux-mêmes les calibres » (P.82). 6/ une équipe excellente d’ « ouvriers japonais (qui) sont des hommes très efficaces, précis, d’une grande qualité morale » (P.79).

 

• L’histoire d’INTERMARCHE commence au fond dès 1959, quand J.-P. Le Roch rejoint le « trouble-fêtes » (P.102) Edouard Leclerc, qu’il quittera 10 ans plus tard avec 92 autres adhérents du groupement LECLERC. Elle s’inscrit dans celui de toute la grande distribution française. Aussi doit-on, pour cerner les clés de son succès, revenir brièvement sur l’origine de ce que nous appellerions aujourd’hui, une irrésistible  "disruption" du commerce traditionnel par la grande distribution au cours des années 1960 - 1970.

 

Un discounteur

 

• La premier ressort fondamental fut de vendre beaucoup moins cher que les détaillants traditionnels (20 à 25% inférieurs, soit un « prix de détail (qui) correspond(ait) à celui facturé par le grossiste à l’épicier ! » P.104). Pour y parvenir, l’idée de base d’Edouard Leclerc fut d’acheter directement les marchandises auprès des producteurs, ce qui supprimait l’intermédiation du grossiste (et sa marge « de l’ordre de 10% » P.104). Mais encore fallait-il convaincre les fabricants de court-circuiter leurs intermédiaires, de condamner leurs débouchés traditionnels à brève échéance et de voir leurs marques bradées… ce qui se révélait laborieux.

 

• Or, l’Etat va soudainement donner aux nouveaux « abbé(s) Pierre de l’épicerie » (P.97) un "coup de pouce" appuyé, en complète violation de la liberté du commerce. Par un décret du 9 août 1953, annulé par le Conseil d’Etat, puis repris par un décret du 24 juin 1958, il oblige les fabricants à vendre leurs produits directement à tout distributeur qui le demande (sans « conditions discriminatoires de vente ou de majorations discriminatoires de prix ») ou, autrement dit, il leur interdit de choisir à l’avenir (sauf exceptions) leurs cocontractants, leurs modes de distribution et leurs politiques de prix. Résultat : en quelques années, « pour les petits commerçants, c’est un monde qui s’écroule » (P.104).

 

• Avec le recul, cette réglementation aux effets ravageurs pour les détaillants, déjà « écrasés de charges (et) pratiquement exclus du bénéfice de la retraite » (P.104), illustre bien les dangers de l’interventionnisme politique dans l’économie. Sans doute, les circuits de distribution se seraient-ils progressivement concentrés, que l’Etat s’en soit mêlé ou non. Des groupements d’épiciers indépendants existaient d’ailleurs depuis longtemps, comme UNICO (une société d’achat en commun créée en 1894, qui deviendra le groupement U), mais le coup d’accélérateur qu’il a donné, en déséquilibrant soudainement tout l’édifice, a permis une forme de blitz krieg commerciale qui laissait peu de temps, et partant, bien moins de chance pour s’organiser, à tous ceux qui, « sur le trottoir d’en face : des épiciers, des petits commerçants, le CID UNATI, le président du syndicat des épiciers » (P.103), assistaient impuissants à leur naufrage.

Une organisation d’ailleurs d’autant plus difficile pour ces épiciers indépendants qu’une Loi du 2 août 1949 avait obligatoirement soumis tout groupement d’achat de détaillants au statut juridique de coopérative et borné l’objet de ces coopératives à la seule fonction d’achat (pas d’opérations d’assistance commerciale ou de promotion). Ces règles « curieusement restrictives et contraignantes » ne seront assouplies qu’à partir de 1972 (Droit de la distribution – Didier Ferrier – Litec 4ème édition 2006 n°794). J.-P. Le Roch souligne d’ailleurs que ces coopératives souffraient « d’un manque de dynamisme commercial et de la nébulosité de (leurs) systèmes de direction » (P.101).

Notons encore que ce décret de 1953, nourri des bonnes intentions répandues par ceux-là mêmes qui devaient en bénéficier (Edouard Leclerc le premier, avec « son entregent, sa force de conviction, son sens du contact » P.103, ce qu’on appellerait aujourd’hui son lobbying - il fut d’ailleurs candidat à des élections législatives et présidentielles), et réalisé au nom du « maintien de la libre concurrence », a conduit l’Etat dans un engrenage réglementaire afin de corriger successivement les suites malheureuses de ses précédentes interventions. Et quand la loi du 27 décembre 1973 voudra éviter « qu’une croissance désordonnée de formes nouvelles de distribution ne provoque l’écrasement de la petite entreprise » (art. 1er), il sera déjà trop tard.

 

Un grossiste

 

• Le deuxième ressort du succès de la grande distribution est l’achat groupé des marchandises. Au sein du groupement LECLERC, l’idée n’est pas née d’abord de la volonté d’obtenir des prix d’achat inférieurs en contrepartie de plus gros volumes, mais de l’opportunité d’encaisser, comme les grossistes « contre le(s)quel(s) il a lutté » (P.109), des ristournes de fin d’année versées par certains fabricants. Le premier groupement d’achat LECLERC est créé en 1962 et J.-P. Le Roch (à 33 ans) en devient secrétaire général, il « prend les contacts avec les fournisseurs, fait les démarches, assure les rendez-vous » (P.107). Et c’est le jackpot ! « Les 1, 2, ou 3% de fin d’année créent de véritables torrents financiers, des montants énormes calculés sur le cumul des achats de l’ensemble des magasins » (P.108). Ces ristournes de fin d’année qui sont redistribuées aux adhérents du groupement à proportion de leurs achats, « deviennent à elles seules plus rémunératrices que le travail lui-même » (P.109).

 

• La gestion de « ces sommes considérables (crée) la discorde » (P.110) qui aboutira, en 1969, à la scission du groupement LECLERC et au lancement d’INTERMARCHE (qui s’est d’abord appelé EX jusqu’en 1973), non sans « une bataille juridique qui durera 20 ans et de dizaines de procès » (P.115).

D’un côté, J.-P. Le Roch (et d’autres) souhaitait utiliser ce pactole pour autofinancer des structures communes fortes (des entités "amont") appartenant à tous les adhérents, sur fond d’inquiétude face à « la concurrence (du) modèle hyper » (M.-E. LECLERC - LSA n°2626 du 5 novembre 2020 P.8). De l’autre, Edouard Leclerc (et d’autres), « allergique à ce discours » (M.-E. LECLERC - idem) qui tendait à recréer une forme d’intermédiaire, semblait privilégier la redistribution des ristournes et la création de centrales d’achats régionales dirigées par « l’adhérent le plus dynamique de la région » (P.109), le tout dans un flou juridique sur les relations entre les adhérents et l’enseigne (V. P.111).

 

• Le raisonnement de J.-P. Le Roch l’a rapidement conduit à centraliser les achats au plan national, avec « une gamme nationale commune de produits et une certaine unification des prix » (P.125). Il faut dire que « comme (ils) étaient moins nombreux que (leurs) concurrents, il fallait (pour INTERMARCHE) représenter une masse d’achats, avoir partout en France les mêmes produits, si possible aux mêmes prix » (P.126). Les achats seront plus tard spécialisés en filières par familles de produits (V.P.176). Cette centralisation, adoptée par l’ensemble de la grande distribution pour peser sur le rapport de force entre acheteurs et vendeurs, aura plusieurs conséquences.

 

1/ La première est de pousser les groupes de distribution à se développer le plus rapidement possible pour accroître leurs parts de marché, autrement dit leurs volumes d’achat. Pour INTERMARCHE, J.-P. Le Roch veut peser au plus vite « pour 1/3 dans la profession : (…) condition indispensable, sinon vitale, pour que le groupe se développe et s’impose auprès des banquiers et des fournisseurs » (P.142).

 

2/ La deuxième est d’amener les clients à consommer  au maximum (en volume) grâce à l’industrialisation des techniques initiées par Aristide BOUCICAUT (codirigeant du Bon Marché dès 1852 et précurseur des soldes, promotions, semaines du blanc, catalogues...). Les années 70 et 80 verront ainsi le perfectionnement du "retailing mix" (l’optimisation des surfaces et des linéaires) et l’essor considérable de la publicité (INTERMARCHE crée sa filiale de publicité en 1974 - V. P.134), notamment autour des « dramatisations » sur tel ou tel produit. Celles-ci sont destinées « à créer chaque fois de véritables chocs dans la clientèle » (P.159), et génèrent parfois, en une semaine, « la vente d’une année normale » (P.161).

 

3/ La troisième est d’encourager une concentration des groupements d’achats qui s’opérera d’autant plus volontiers, à la fin des années 90, que la croissance organique des groupes de distribution deviendra plus difficile. Il pourra s’agir de fusions d’enseignes (comme celle de Carrefour et Promodès en 1999), d’alliances nationales de circonstance, plus ou moins limitées aux achats, comme entre INTERMARCHE et CASINO durant 4 ans (2014-2018), ou de centrales d’achat transnationales, comme celle (AGECORE) qui réunit, en Suisse : INTERMARCHE et EROSKI (2002), rejoints par EDEKA (2005), puis COLRUYT, CONAD et COOP (2015).

 

4/ La quatrième conséquence est de placer les petites et moyennes entreprises dans une subordination de fait à la grande distribution. Alors que « les fournisseurs (…) traitaient avec plusieurs centaines, parfois même avec plusieurs milliers de revendeurs, (ils) traitent désormais avec quelques dizaines de groupement » (Droit de la distribution – Didier Ferrier – Litec 4ème édition 2006 n°790) et souvent moins…

La seule manière de préserver une relation équilibrée est d’être soi-même une grande entreprise. Celles-ci « ont pu maintenir, avec (la grande distribution) des rapports fructueux dans la mesure où leurs produits sont toujours restés de grande qualité, en perpétuel renouvellement et, le plus souvent, appuyés par une forte publicité » (F. DALLE – L’aventure L’Oréal – Edition Odile Jacob 2001 P.124), c’est-à-dire des produits de grande consommation relativement incontournables.

Quant aux PME, comme le confiait Serge Papin (dirigeant de système U) sur Radio Classique en janvier 2014 : « Les produits comme Nutella, Caprice des Dieux, Danone… sont vendus sans marge par la grande distribution, puisque ce sont des produits référents dans tous les comparateurs de prix. Et donc où se refinancent les magasins ? C’est sur le dos des PME qui n’ont pas les moyens de se défendre. La destruction de valeur va mettre à mal, et ça a commencé ce qui est quand même une pépite pour la France, notre appareil agroalimentaire. Il y a déjà eu des pertes d’emploi, des entreprises qui ferment, il y a un secteur agricole en difficulté » (cité par LES ECHOS ETUDES – Grande distribution alimentaire – Décembre 2014 P.64). J.-P. Le Roch le disait peut-être d’une autre manière : « En fait, il s’agit d’offrir les prix les plus concurrentiels aux consommateurs, sans lutter sur le front des grandes marques. Comment ? En sélectionnant de petits fournisseurs qualifiés et performants capables de proposer des prix imbattables » (P.136), ajoutant (dans une phraséologie compliquée) que pour ne pas les mettre en difficulté, il faisait « tous ses efforts pour associer, en quelque sorte, le producteur à la politique générale du juste prix en l’obligeant à la pratique d’un profit mesuré mais en lui assurant la vente de ses produits » (P.200).

A terme, sauf à disposer d’un produit de niche exceptionnel associé à une marque forte (au moins au plan régional), comme sut la créer DUCROS (V.P.141), les PME n’ont guère que trois échappatoires : 1/ Etre rachetées par un grand groupe qui entend lui aussi faire masse. C’est l’exemple de HUILOR racheté par LESIEUR au début des années 70 (HUILOR était un petit fournisseur qui permettait à INTERMARCHE de boycotter LESIEUR - V. P.140) ; 2/ Devenir de simples sous-traitantes de la grande distribution en fabriquant des produits pour leurs marques distributeur, (minorant tout de même dans ce cas leurs coûts marketing). Pour INTERMARCHE, la première marque distributeur (Pâturages de France), suivie de nombreuses autres, est lancée en 1972 sur le marché du lait, très porteur à l’époque (V.P.128) ; 3/ Etre rachetées (ou reprises in extremis V.P.177, 178, 180, 185) par le distributeur lui-même, devenant une filiale travaillant exclusivement pour celui-ci. INTERMARCHE a beaucoup investi dans cette intégration verticale initiée dès 1974 (par une participation dans les Salaisons de la Touque - V.P.135), au point d’être aujourd’hui un des plus grands industriels français de l’agroalimentaire (59 usines selon le site internet d’INTERMARCHE – à noter que certaines unités ne sont pas des reprises, mais des créations - V.P.165) et de maîtriser « la chaîne alimentaire sur 25% de son chiffre d’affaires » (LSA N°2606 du 4 juin 2020 P.8).

 

• L’Etat, après avoir si longtemps favorisé l’essor de la grande distribution, essayera de rétablir un équilibre des négociations. Une première Loi du 1er juillet 1996 ré-autorise le refus de vente des fabricants (à condition toutefois qu’il n’entraîne pas de discrimination !) et limite les prix trop bas. La Loi du 3 janvier 2008 modifie le calcul du seuil de revente à perte. La Loi du 4 août 2008 tente de formaliser les négociations et limite les délais de paiement, des mesures qui seront encore modifiées en 2014 puis 2015.

Mais deux exemples récents laissent sceptiques sur la cohérence de cette normalisation. D’un côté, le dernier épisode judiciaire entre COCA-COLA et INTERMARCHE pourrait laisser supposer que le déséquilibre penche toujours en faveur de la grande distribution : COCA-COLA a été condamné sous astreinte début 2020 à reprendre les livraisons qu’il avait trop brutalement interrompues faute d’accord commercial (V. https://www.lsa-conso.fr/affaire-coca-cola-intermarche,366258), alors que de son côté, INTERMARCHE a toujours pratiqué « ces politiques d’exclusion (des fabricants vedettes) prises sur le plan national » (P.141). De l’autre, INTERMARCHE vient d’être menacé par la DGCCRF d’une amende assez considérable de 150 millions d’Euros au titre de négociations menées par ses centrales d’achats internationales (https://www.lesechos.fr/industrie-services/conso-distribution/ bercy-attaque-les-pratiques-des-centrales-dachat-dintermarche-1291934).

 

Un épicier "newlook"

 

• Le troisième ressort du succès de la grande distribution est la transposition en France d’un modèle d’affaires anglo-saxon éprouvé. « Le secteur de la grande distribution est (en effet) imprégné depuis les années 50 des idées de l’école américaine énoncées par un éminent économiste du non de Trujillo » (P.139). Cet américain, brillant conférencier (ont notamment participé à ses séminaires les fondateurs de CARREFOUR, CONTINENT, CONFORAMA, AUCHAN, FNAC, DARTY ou ACCORD) synthétisera les concepts fondamentaux de la grande distribution dans quelques formules marquantes (https://www.lsa-conso.fr/bernardo-trujillo-le-prophete-de-la-distribution,162370). Parmi elles : libre service, prix dramatiquement bas, pas de parking pas de vente, empilez haut et vendez bas, préférez un panneau à un vendeur, supprimer les vitrines ou le célèbre « créez un endroit festif et noyez des îlots de pertes dans un océan de profit » (P.139).

Sur ce dernier point, « Trujillo déclare que le consommateur ne peut retenir mentalement plus de 50 prix au maximum. Ce sont des prix psychologiques, ceux sur lesquels il faut agir pour capter la confiance, (d’où) : gérez calmement les prix psychologiques (ceux des fournisseurs monopolistiques) et faites des marges énormes sur les autres » (P.139). Notons que J.-P. Le Roch soulignait faire « le contraire », pratiquant des prix bas « sur l’ensemble des produits » (P.200), ajoutant même que « ce principe (a) été mis au point par des capitalistes plus soucieux de la rentabilité maximum que du bien-être » (P.200).

 

• Le modèle financier de la grande distribution est lui aussi très vite en place et attractif : « l’investissement est minime, le volume des ventes est considérable » (P.103), les adhérents « bénéficient (…) des conditions d’achat les plus favorables tout en travaillant avec un stock minimum. La rotation des articles est immédiate et le paiement comptant du consommateur assure une trésorerie fluide et saine » (P.110).

Les fournisseurs sont quant à eux payés, à l’époque, dans un délai moyen de 180 jours (Guide de la distribution 2016 – R. Fabre, Ph. Charles, E. Massin – Lexis Nexis 2016 P.6) que la Loi du 4 août 2008 plafonnera à 45 jours fin de mois ou 60 jours à compter de la date de la facture. "Tirer" sur les délais de paiement (et sur les nerfs des fournisseurs et des prestataires) n’a pas été propre à la grande distribution, mais cela se justifiait peut-être d’autant moins dans son cas que l’essentiel de ses clients a toujours payé comptant.

Ce modèle qui offre une très bonne visibilité sur les ventes (l’achat de produits alimentaires étant relativement incompressible) et un excédent de fonds de roulement (ou de trésorerie d’exploitation) hors norme permet, au début des années 70, de financer une croissance fulgurante de toutes les enseignes « sans avoir recours aux banques » (Guide de la distribution 2016 – R. Fabre, Ph. Charles, E. Massin – Lexis Nexis 2016 P.6). INTERMARCHE finira par « s’offrir une banque en 1989 (pour) gérer les produits de placement (et pour) accorder des financements aux adhérents en complément de ceux que proposent les autres établissements bancaires » (P.174).

 

• A cette formule qui « marche du tonnerre » (P.98), INTERMARCHE va ajouter notamment l’obligation, pour chaque adhérent, de travailler bénévolement dans les structures communes deux jours par semaine, ce que  J.-P. Le Roch appellera le "tiers temps" des adhérents. Cette option présentée comme « l’idée la plus révolutionnaire » (P.204) et « le véritable moteur de tout le système » (P.205), s’était d’abord imposée « après la scission, par nécessité (de) nous réunir pour construire une nouvelle identité » (P.122). Elle sera ensuite justifiée par une conformité « aux principes du Groupement (dont les structures) ne peuvent être dirigées que par ses membres et non par des cadres qui, quelles que soient leur qualification et leur motivation, ne seraient pas personnellement totalement engagés » (P.202).

Au plan économique, le tiers temps « ne coûte rien au groupement (et) réduit les coûts de personnel » (P.122).

Au plan psychologique, « il permet une grande complicité non seulement entre les adhérents, mais aussi entre les adhérents et les permanents (les permanents sont les collaborateurs salariés dans le vocable interne d’INTERMARCHE) » (P.205), il « favorise l’épanouissement des hommes et garantit la solidarité » (P.122). Précisons à cet égard que « certains d’ailleurs prennent plus de plaisir à faire ce tiers-temps qu’à gérer leur point de vente, ce qui peut aisément se comprendre notamment avec le développement des filières internationales » (P.205).

 

Cette organisation qui n’est pas unique (les adhérents LECLERC participent aussi bénévolement aux structures communes) n’est sans doute pas sans faiblesses. D’abord, l’engagement personnel des adhérents ne garantit pas leur dévouement à « l’intérêt supérieur du groupement avant l’intérêt particulier » (P.203). Tous les chefs d’entreprises n’ont pas « une véritable éthique de la fonction patronale » (P.203). J.-P. Le Roch avait, paraît-il, coutume de dire qu’il y avait parmi eux 1/3 de bons, 1/3 de "bofs", 1/3 de cons. Vrai ou faux ? en tout cas, il égratigne en 1995 la majorité des adhérents, « la plus importante en nombre (qui) n’a pas bien compris le sens du cadeau » (P.211). Enfants des pionniers (au sens propre ou figuré), ils ont connu le jackpot, mais « pas (les) efforts et pas (les) risques » (P.214). Prévoyant que les futurs adhérents auraient à nouveau plus de difficultés, il souligne que c’est « beaucoup mieux ainsi » (P.214).

Ensuite, les adhérents, malgré la relative diversité de leurs parcours professionnels, peuvent difficilement réunir toutes les compétences pointues que requière un grand groupe par ailleurs fortement intégré verticalement (dans la logistique, la production, l’ingénierie, la maîtrise d’œuvre, l’informatique, la publicité, la banque, l’assurance et jusqu’à la pèche…). En dépit de leurs capacités d’apprentissage au contact des salariés, la pertinence de leurs choix et la légitimité de leurs fonctions pouvait s’en trouver atteinte (d’autant plus que cette forme d’autogestion du groupement reste largement tempérée par la centralisation du budget).

Enfin, ce primat opérationnel et moral donné aux adhérents tend à éclipser les « plus de 70 000 collaborateurs » (P.189) d’INTERMARCHE (à fin 1993). Il est remarquable de constater que J.-P. Le Roch, sauf erreur, n’en dit rien et le terme même de "permanent" (vocable qui désigne les salariés du groupement) n’est d’ailleurs pas mentionné dans le glossaire qui accompagne son livre (P.217). Sans aucun doute, rares sont les entreprises françaises qui auront à ce point « favoris(é) la création d’entreprises nouvelles par tous ceux qui travaillent en son sein » (P.201). Au cours des années 70, la croissance devait « passer pour un tiers par les adhérents en place, pour un tiers par les permanents et pour le dernier tiers par les nouveaux adhérents » (P.142). Dans les années 80 encore, la formation des directeurs de magasins visait à les « préparer (…) à devenir de futurs chefs d’entreprise. Si l’on peut dire, on les vaccinait Intermarché » (P.176). Il n’en reste pas moins qu’en « 1994, (…) 2000 adhérents » (P.194) ne représentaient que 2.8% du personnel ; ils sont 1,8% aujourd’hui. Entre temps, le groupe semble s’être banalisé sur ce sujet avec la création d’une direction des ressources humaines au début des années 2000 et une communication sur « le bien-être des salariés et leur évolution professionnelle » (V. le rapport développement durable : https:// www.mousquetaires.com/nos-engagements/le-rapport-rse/ lattention-portee-a-tous-nos-collaborateurs/).

 

• Ajoutons que chaque adhérent doit exploiter un seul type d’enseigne, conformément au principe adopté à la fin des années 70, à l’occasion du lancement de l’enseigne BRICOMARCHE : « un homme, un métier » (P.157).

 

Des barrières à l’entrée

 

Après « le temps de la conquête » (P.155) des années 70 et 80, INTERMARCHE, comme les autres enseignes, semble entrée depuis 25 ans dans une guerre de position.

 

• Les barrières réglementaires expliquent en partie ce frein au développement. Les premières remontent à la Loi du 27 décembre 1973 qui rappelle pourtant dans son article 1er : « La liberté et la volonté d’entreprendre sont les fondements de l’activité commerciale et artisanale ». Après quoi, elle interdit toute création de surfaces de vente supérieure à 1000 M2 dans une commune de moins de 40 000 habitants et 1500 M2 pour une commune de plus de 40 000 habitants, sauf autorisation administrative. Cette limite sera aggravée par la Loi du 5 juillet 1996 « relative au développement et à la promotion du commerce et de l’artisanat » qui abaisse le seuil d’autorisation à 300 M2 dans tous les cas. Ce seuil sera à nouveau relevé à 1000 M2 par la Loi du 4 août 2008 qui cherche à « développer le commerce ». Il est vrai qu’entre temps, le gouvernement s’était rendu compte qu’« en 2004, les quatre premières enseignes détenaient 52 % des parts de marché, (qu’)une étude récente estim(ait) à 32,9 % le nombre de zones de chalandise non concurrentielles et à 26, 9 % les zones de chalandise réellement concurrentielles ». (https://www.maire-info.com/urbanisme/

urbanisme-commercial-ce-que-prevoit-le-projet-de-loi-lme-article-9699). D’autres lois subséquentes viendront encore raffiner les instances de décision, les études à produire, les procédures et finalement les entraves.

En pratique, elles ralentissent toute évolution du parc de magasins et handicapent (ou interdisent) tout nouvel entrant sur ce marché. Comme pour toutes les complexités administratives, elles nuisent spécialement aux petites entreprises qui n’ont ni la disponibilité, ni les moyens de "gérer" ces réglementations.

 

• De fait, la hiérarchie de l’oligopole "historique" de la grande distribution alimentaire n’a pas beaucoup varié ces 20 dernières années. Les 3 premiers restent identiques et accroissent leur poids, même si leurs parts relatives évoluent plus ou moins (à la suite de rapprochements  dans certains cas), LECLERC [16.9% en 2001 / 21.3% en 2020], CARREFOUR [15.9% / 19.8%], INTERMARCHE [13.3% / 15.7%], GROUPE U [6.9% / 11.3%], CASINO [8.8% / 10.4%] et AUCHAN [12.9% / 10.3%] (LSA N°1746 du 22 novembre 2001 P.22 et LSA N°2606 du 4 juin 2020 P.9). Autre indicateur de ce relatif immobilisme : en nombre de points de vente, l’enseigne INTERMARCHE reste stable depuis 20 ans avec 1852 unités en 1994 (P.194), 1972 en 2001 (LSA N°1762 du 4 avril 2002 P.28) et 1840 aujourd’hui (https://www.mousquetaires.com/nos-enseignes/ alimentaire/intermarche/), mais son enseigne de hard discount (CDM puis NETTO) a toutefois progressé, passant de 196 unités en 1994, à 246 en 2001 et 302 aujourd’hui (mêmes réf.).

 

• Un tel contexte a renchéri la valeur des fonds de commerce existants ; ceux du moins qui sont dans des emplacements recherchés. Non seulement, le péril d’avoir à subir de nouveaux concurrents s’est souvent restreint, mais les propriétaires installés sont dans une position de force pour négocier un changement d’enseigne avec un concurrent.

L’enjeu est très prégnant pour les groupements d’indépendants comme INTERMARCHE qui risquent de voir leurs membres passer à la concurrence à la faveur d’une surenchère. Pour parer cette tentation, le GROUPEMENT DES MOUSQUETAIRES prendra différentes mesures conservatoires comme les restrictions de sortie du contrat de franchise, la propriété des murs des points de vente ou l’association au capital de la holding dans les sociétés d’exploitation.

 

• Dans cette guerre d’usure pour conserver ses parts de marché et "grignoter" celles de ses concurrents, il est prévisible que de nouvelles concentrations s’opèrent. Si elles apparaissent rationnelles en raison des synergies attendues (sur les achats et les services "amont" en particulier), elles n’en sont pas moins risquées.

INTERMARCHE a de son côté connu un échec avec son rachat, en 1997, de SPAR, le 4ème groupe de distribution alimentaire en Allemagne. Cette opération, d’autant plus délicate qu’il existait un obstacle culturel entre les partenaires, fut notamment marquée (pour SPAR) par des pertes récurrentes, des cessions d’actifs (72 hypermarchés, la branche cash and carry), des changements de dirigeants, des conflits avec les actionnaires minoritaires et surtout par la transformation, à partir de 2000, des supermarchés EUROSPAR en INTERMARCHE, une enseigne alors inconnue en Allemagne (https://www.lsa-conso.fr/eurospar-joue-quitte-ou-double-avec-intermarche,52615). Elle se termine en 2005 par la revente de SPAR à un groupe allemand (EDEKA).

Notons encore, à titre d’exemples de concentrations, pour d’autres métiers du GROUPEMENT DES MOUSQUETAIRES, le rachat par celui-ci des magasins BRICORAMA (sans leurs murs) en 2017, (https://www.lesechos.fr/2017/07/bricomarche-rachete-bricorama-et-devient-numero-trois-du-marche-173868), la cession de ses magasins VETI (ex-VETIMARCHE) à KIABI (groupe MULLIEZ) en 2009 et celle de ses restaurants POIVRE ROUGE (ex-RESTAUMARCHE) au groupe LA BOUCHERIE en 2019.

 

• La création de points de vente hors de France, dans des pays où cette création demeure attractive, représente une opportunité de croissance alternative. Mais cette option, difficile pour toute entreprise, l’est peut-être d’avantage encore pour des groupements d’indépendants. Leurs adhérents ne peuvent pas se permettre de perdre de l’argent pendant une phase de conquête, chacun étant propriétaire de son point de vente, et dépendant de son équilibre financier à court terme. INTERMARCHE est malgré tout présent aujourd’hui en Pologne, au Portugal et en Belgique, après avoir notamment échoué en Espagne et en Italie.

 

Bilan et "hors bilan"

 

• S’agissant du bilan économique du GROUPEMENT DES MOUSQUETAIRES, c’est évidemment une réussite exceptionnelle pour J.-P. Le Roch qui a « enrichi tant de gens » (P.209) et ses successeurs. Bien qu’il ait bénéficié d’un "alignement des planètes" inespéré et que son expansion fût peut-être en soi « un fait banal » (P.211), J.-P. Le Roch sut tirer de cette conjoncture un parti supérieur à la plupart de ses concurrents  jusqu’à pouvoir affirmer dès 1980 : « la concurrence, c’est nous » (P.155). Cette prééminence fut sans doute amoindrie après son départ, mais l’entreprise est restée « un partenaire respecté par les différents composants de la distribution » (P.201).

Quant aux adhérents du groupement (propriétaires des points de vente), leurs réussites individuelles ont certainement été très nombreuses et remarquables (bien qu’on n’en connaisse pas non plus les chiffres). Les faillites n’ont sûrement pas manqué non plus (ce qui est commun à tout réseau de franchise et à toute entreprise d’ailleurs). J.-P. Le Roch n’aborde pour ainsi dire pas ce sujet. Il se borne seulement à expliquer l’échec par une forme de lassitude, quand « la fatigue devient trop grande, l’effort trop pénible, la désillusion suit et c’est l’échec terrible, irréversible » (P.147). On sait pourtant que la qualité du dirigeant revêt une importance relative dans son succès et que cette part est très variable en fonction des secteurs d’activité.  Pour ce qui est du commerce de détail, l’emplacement du fonds et sa zone de chalandise restent sans aucun doute des facteurs prévalant.

 

C’est toutefois le bilan "moral" du GROUPEMENT DES MOUSQUETAIRES que J.-P. Le Roch place en tête de ses attentions, celui d’une « société d’hommes et non de capitaux » (P.209) dont « la véritable richesse se mesure hors bilan, à la quantité d’hommes de valeur qui participent totalement à l’œuvre commune » (P.210). Mais en quoi « le comportement d’INTERMARCHE et sa philosophie sont(-t-ils) originaux » (P.141) ?

 

• Formalisée dans la charte des Mousquetaires, la mission d’INTERMARCHE était d’ « apporter un mieux-être au plus grand nombre » (P.215). La formule n’était pas très originale (la mission de Danone est par exemple assez proche : « apporter la santé par l’alimentation au plus grand nombre », comme celle de LECLERC : « démocratiser la consommation et permettre au plus grand nombre d’accéder à tous les produits et services »), mais elle était assez flexible pour convenir aux différentes enseignes spécialisées du groupe (alimentation, bricolage, vêtement…) et aux préoccupations changeantes des consommateurs. Surtout, elle s’inscrivait parfaitement dans l’esprit des "trente glorieuses" qui plébiscitait la  "grande surface" comme sommet d’abondance. Du reste, il faut admettre que si les distributeurs ont par la suite été « vilipendés » (Th. COTILLARD, président des enseignes INTERMARCHE et NETTO – LSA n°2606 du 4 juin 2020 P.8) à divers titres (mépris du personnel, des paysages, de l’environnement, des ressources etc.), les "super" et les "hyper" pouvaient à juste titre laisser rêveurs tous ceux qui, des pays socialistes aux pays sous-développés, étaient privés de ces "temples de la consommation".

INTERMARCHE communique aujourd’hui plus "prosaïquement" sur « des produits de qualité au prix le plus juste dans le respect de la chaîne d’approvisionnement ainsi que (sur) des actions concrètes en faveur de l’environnement » (Erreur ! Référence de lien hypertexte non valide.).

 

• Le GROUPEMENT DES MOUSQUETAIRES fait partie des distributeurs organisés sous la forme dite de commerce indépendant organisé, par opposition au commerce intégré ou succursaliste et au commerce indépendant isolé (V. sur cette question : https://www.commerce-associe.fr/forme-commerce-panorama). Dans ce modèle économique qui remonte au XIXème siècle et qui concerne aujourd’hui plus du quart du commerce de détail en France, les commerçants indépendants se regroupent pour renforcer leurs moyens : historiquement par la mutualisation de leurs achats, puis de leurs outils marketing, financiers etc. jusqu’aux réseaux d’enseignes comme INTERMARCHE qui proposent un concept complet d’entreprise "clé en main" sous forme de franchise.

Les commerçants indépendants ont donc la particularité d’être à la fois membres du réseau (franchisés dans le cas d’INTERMARCHE) et actionnaires de la structure commune (franchiseurs). A ce titre, ils participent aux décisions sociales et, lorsque le groupement adopte le statut coopératif (c’est le cas de 90%), le droit de vote est indépendant de la quotité de capital détenu (principe dit "1 homme 1 voix" qui est en fait généralement 1 société 1 voix).

Le GROUPEMENT DES MOUSQUETAIRES s’est inscrit dans ce cadre juridique (comme les groupements LECLERC et U notamment). Les 92 fondateurs ont d’abord créé « une société anonyme à capital variable constituée d’apports égaux » (P.123). A partir de 1974, de nouveaux actionnaires ont pu être cooptés après « mise à l’épreuve du candidat durant 2 ans, participation active à un bon tiers temps et bonne gestion des affaires personnelles » (P.141). Fin 1985, « dans un souci d’équité » (P.163), la holding s’est transformée en société civile des Mousquetaires dont la valeur des parts a été fixée forfaitairement et leur nombre limité à « 60 parts par personne » (P.163). Elle a directement englobé la conduite opérationnelle du groupe à partir de 2016 (https://www.lesechos.fr /2016/06/les-mousquetaires-simplifient-leur-gouvernance-222207).

Si le modèle juridique n’est donc pas original en soi, INTERMARCHE l’a cependant combiné à une politique "sociale" d’entrepreneuriat tendant à minorer « chaque fois que faire se peut, et d’une manière générale » (P.201) la discrimination par la "surface financière personnelle", grâce à des formes de cofinancement des projets de création par le groupement et les anciens adhérents.

Que cette « volonté de prosélytisme » (P.203) ait concordé avec l’intérêt bien compris du groupement, que ces postulants n’aient pas porté un projet d’entreprise au sens "classique" (avec une offre différenciée, une vision stratégique et un pilotage autonome) et que cette dynamique se soit certainement ralentie dès les années 90, ne doit pas dissimuler la formidable « promotion de l’initiative privée » (P.201) qu’INTERMARCHE sut concrétiser à grande échelle. Il y a de fait aujourd’hui environ 3000 adhérents Mousquetaires (dont 40% actionnaires de la société holding du groupe), pour 1200 adhérents U et seulement 592 adhérents LECLERC.

 

• Concilier durablement l’aspiration à la « liberté de choix et d’action » (P.202) de chaque "indépendant" avec la nécessité de « liens solides et permanents d’interdépendance »  (P.202) est un exercice périlleux.

 

C’est un problème théorique sans doute qui touche à la philosophie et la psychologie de chacun : peut-on « renoncer à une partie de sa liberté » (P.197) seulement, quand le contrat d’adhésion vous engage pour 10 ans, quand les structures « sont perpétuellement susceptibles d’évolution » (P.203), quand les normes techniques, commerciales, comptables et de gestion du groupement, ainsi que leurs modifications, doivent être rigoureusement appliquées et quand la sortie à terme est strictement encadrée ?

 

Mais c’est un problème pratique surtout qui rend la cohésion et la direction d’un tel ensemble spécialement difficile et, il faut le souligner, vraiment très remarquable.

La dissidence n’est jamais très loin de la critique. E. Leclerc n’a pas su l’éviter, ni « les SPAR et les CODEC (qui) ont disparu moins à cause de leur manque de professionnalisme que de leurs divisions » (M.-E. LECLERC - LSA n°2626 du 5 novembre 2020 P.8).

J.-P. Le Roch ne s’exprime pas directement sur sa réussite et sa longévité à la tête du groupement. On lit qu’il était « naturellement l’aimant du groupe (en raison de) son charisme, son talent inné à anticiper, gérer, décider » (P.204). Il dresse cependant  le portrait rapide de son successeur (Pierre Gourgeon) : « un homme d’exception (…) en raison même de sa nature, de son sens profond du devoir, de ses qualités humaines, dont l’honnêteté » (P.216).

M.-E. Leclerc paraît l’opposer à son propre modèle en ces termes : « une organisation, au-delà du juridique, doit entretenir sa légitimité. Les indépendants sont des animaux sauvages, des lions qui ont leur territoire. Il y a deux métaphores parlantes à ce sujet : Walt Disney, qui prétend que les lions désignent leur roi au sein de leur communauté, et Rudyard Kipling et Edgar Rice Burroughs, qui pensent préférable de désigner un tiers médiateur, un mowgli ou un tarzan. Les deux sont valables même si mon histoire, celle de mon père ou celle de Jean-Claude Jaunais (ancien président de Système U, NDLR) se rapprochent plutôt du second concept » (M.-E. LECLERC - LSA n°2626 du 5 novembre 2020 P.10).

Il ajoute, pour tous les groupements, que « la clé d’un bon fonctionnement, c’est l’acceptation par les indépendants qu’ils ne sont pas qu’une addition d’individus et qu’il leur faut se fédérer autour d’un projet collectif. Et la deuxième condition est qu’ils en gardent le contrôle. Avec cette remarque : s’ils contrôlent, mais sans participer, ni prendre des responsabilités, alors c’est très compliqué pour celui à qui on a délégué la gouvernance » (idem).

La paralysie peut aussi menacer les groupements d’indépendants dont l’allocation des ressources peut opposer l’intérêt des membres à court terme et le maintien des conditions de leur compétitivité à long terme. A cet égard, la discorde sur le "bon" équilibre entre l’amont et l’aval n’a pas cessé d’alimenter des polémiques et des frondes au sein même d’INTERMARCHE. Le départ du successeur de J.-P. Le Roch (Pierre Gourgeon) en 2002, s’inscrit notamment dans une révolte d’adhérents revendiquant une organisation plus collégiale et démocratique, une transparence des comptes, la remise en cause de l’internationalisation, voire même de l’intérêt de posséder son propre outil industriel ou sa propre flotte de pêche (V. LSA n°1781 du 19 septembre 2002 P.31). Quant à la vague actuelle de digitalisation, M.-E. Leclerc note qu’ « il faut se mettre dans la peau d’un indépendant qui exploite un hypermarché et possède un patrimoine foncier qu’il souhaite transmettre à ses enfants. Il n’est pas si pressé que ça, même s’il sait que c’est l’avenir, de cannibaliser le chiffre d’affaires de son hyper avec des ventes collectivement réalisées par le webcommerce de son  groupement » (M.-E. LECLERC - LSA n°2626 du 5 novembre 2020 P.12). Le "drive" serait aujourd’hui sur ce point la solution de compromis.

 

• Le grand dessein de J.-P. Le Roch était de constituer « un rassemblement de chefs d’entreprises » (P.203) pour qui « la notion de profit serait volontairement limitée à la juste rémunération de leur initiative et de leur service » (P.197), et pour qui « l’intérêt supérieur du groupement (passerait) avant l’intérêt particulier » (P.203).  A cet égard, J.-P. Le Roch sépare complètement l’argent de l’entreprise et l’argent personnel

Quant à l’argent personnel, sa « suspicion (…) est totale » (P.210). Il tient « en horreur l’argent superflu, mal gagné, mal géré, mal dépensé » (P.209). Par suite, sa « pensée économique (distingue) les billets bleus (qui) sont les billets de la dignité, de la liberté (pour) faire face aux nécessités du quotidien (et) les billets rouges (qui) correspondent au surplus. C’est là que peut résider le mal, la catastrophe » (P.209), dit-il. Mais où commencent et où s’arrêtent les "nécessités du quotidien" ? La "Mercédesse" (comme il s’est plu, dans mon souvenir, à en écorcher le nom dans un éditorial du journal interne) en fait-elle partie ?...

L’argent de l’entreprise est « un outil de travail (sans lequel) il est impossible de faire tourner une affaire » (P.148). A ce titre, il bénéficie d’une considération radicalement inverse qui vise à  l’accroître au plus haut point, notamment grâce à « une action en profondeur pour la maîtrise des coûts » (P.201) et à la généralisation d’un "radinisme industriel" qui empruntent aux premiers pas de la révolution industrielle. « L’idée obsessionnelle » (P.209) est de le réinvestir au maximum afin de consolider l’entreprise et, comprend-t-on, de le soustraire aux tentations cupides de ses membres.

Ce dualisme peut expliquer l’alternance déroutante entre, d’une part, une personnalité et des gestes qui témoignent d’une « grande sensibilité et d’une extrême générosité » (P.155) et d’autre part, une attitude et des réflexes de compétiteur systématique, certainement plus proches du piranha naturalisé que je voyais posé sur l’étagère du bureau, par ailleurs assez modeste, que conservait J.-P. Le Roch au siège d’INTERMARCHE.

Au final, ces considérations semblent avoir eu du mal à s’imposer au point que J.-P. Le Roch « doute parfois et se prend à regretter en constatant ce que (les adhérents) sont devenus : c’est terrible, se lamente son épouse. On a vu tant de familles se déchirer, se détruire, d’hommes quitter leur femme, des héritiers s’entretuer pour de l’argent, que c’en est écœurant, alors que l’essentiel est ailleurs » (P.209).

 

• « Tout a été dit sur les Mousquetaires : le pire comme le meilleur » (P.197). Ce manichéisme, au-delà des opinions de circonstance, tient peut-être au fossé qui s’est élargi au fil des ans entre la multinationale institutionnelle et la start up des premières années, à moins qu’il ne soit l’expression banale de l’inévitable tiraillement entre nécessités et vertus.

D’un côté, la présomption du nombre, l’assurance du succès, la véhémence des codes, les hiérarques ambigus, la froideur des chiffres, les organigrammes et les procédures, la banalisation et l’anonymat, l’inertie des acquis et de manière générale, tout « ce que l’on fait avec cette informatique qui tue l’intelligence humaine » (P.216).

De l’autre, ces jeunes « entrés un peu par hasard dans la grande distribution avec comme seul objectif la réussite professionnelle, (qui) découvrent (…) la grande aventure » (P.119), rejetant les codes "corporate" au point de renier le terme même d’"entreprise" (à leurs débuts, les LECLERC parlaient de l’"Expérience" puis ils s’intituleront le "Mouvement" LECLERC - https://www.histoire et archives.leclerc/a-la-une/histoire-de-l-acdlec-les-fondements-1964-1969-partie-1), luttant contre des marques "Goliath", hasardant des moyens inédits, bâtissant une enseigne « où tout va très vite » (P.198), mais aussi une culture non conformiste « qui fleure bon l’amitié et la générosité » (P.198), cherchant à vendre d’abord une idée, voire un état d’esprit.

Le premier visage, je l’éprouvais tout spécialement lors des congrès annuels du groupement où « la grande fête de famille où rien n’est vraiment compliqué » (P.173) m’a toujours semblé singulièrement convenue et empruntée. Le second, j’ai pu l’entrevoir encore par la proximité du secrétaire général d’alors et ancien collaborateur de J.-P. Le Roch, Alain Rocher, dont l’art et la manière conservaient, quoi qu’il en soit, le charme exceptionnel de cette histoire.

De l’exil aux Mousquetaires - Reynald SECHER - J.-P. LE ROCH
BIBLIOGRAPHIE ET SITES INTERNET

BIBLIOGRAPHIE

Mes vies d'entrepreneur (Yvon GATTAZ - Fayard 2006)

Une référence de l’entrepreneuriat, pour se convaincre que la création d’entreprise est possible, belle et bonne.

 

A ne pas manquer : le chapitre 7 - Croissance et excroissances (P.145).

Mérite le coup d’œil : le vrai secret de l’entreprise nouvelle (P.13) ; les qualités de l’entrepreneur (P.48) ; la recette Gattaz pour la création (P.51) et l’escalier du risque (P.257).

 

Père riche Père pauvre et Père riche Père pauvre (la suite) (Robert T. KIOSAKI - Un monde différent 2000) 

Plus proche d’un manuel d’économie domestique, un très bon « classique » pour comprendre les types de parcours professionnels, les faux-semblants qui entravent les individus et les bonnes raisons de se prendre en main.

 

A ne pas manquer : le chapitre 2 du second tome (T.II P.32) qui présente les différents quadrants du cash flow.

Mérite le coup d’œil :  la fin du chapitre 3 du premier tome (T. I P.98 à 104) qui résume la situation d’un riche (qui achète des actifs), d’un pauvre (qui n’a que des dépenses) et de la classe moyenne (qui achète un passif en croyant avoir acheté un actif) ; un tuyau sûr (T.II P.214).

 

PME cherche croissance (Michael GERBER - 1992)

Un excellent guide pour accompagner l’entreprise vers la maturité d’un système où convergent l’entrepreneur (stratège qui rompt les routines), le manager (tacticien qui optimise les process) et le professionnel (expert qui cultive sa technique).

 

A ne pas manquer : les 3 étapes du développement - Innovation, quantification, orchestration (Ch. 10 P. 93).

Mérite le coup d’œil : l’erreur fatale (P.16) ; l’exemple de l’hôtel de Venise (P.138) ; la stratégie des ressources humaines (Ch. 16 P.147).

 

L'art de diriger tome I (Management Stratégie) et tome II (Gestion Finance) (Robert PAPIN - Dunod 2006) 

Toutes les bases du management dans une synthèse magistrale et pédagogique : comment mobiliser des collaborateurs ? comment organiser une entreprise ? comment négocier ? quelle tactique adoptée ? quelle stratégie possible ? comment lire utilement les comptes ? Quelle est la valeur d’une entreprise ?

 

A ne pas manquer : l’introduction - le secret de votre succès professionnel (T. I P.7).

Mérite le coup d’œil :  le portrait des manipulateurs (T.I P.60) ; les structures ultra-légères (T.I P.91) ; l’offensive et la défensive (T.I P.203) ; la pédagogie entrepreneur (T.I P.329) ; le diagnostic simplifié d’une entreprise (T.II P.187).

 

Coaching pour faire décoller votre entreprise (Brad SUGARS – Maxima 2007)

Le fondateur du réseau ActionCoach présente sa démarche et ses outils à travers le cas d’un boulanger. Une approche pratique et pédagogique bien adaptée aux PME.

 

A ne pas manquer : le châssis des affaires (P.35).

Mérite le coup d’œil :  la proposition unique de vente (P.113) et le cycle des affaires (P.207).

 

L’investisseur intelligent (Benjamin GRAHAM - Valor éditions 2008)

Le mentor de Warren Buffet nous apprend à ne pas confondre l’investisseur (qui opère une analyse historique et économique des investissements) et le spéculateur (qui suit les modes et les idées préconçues).

 

A ne pas manquer : le concept essentiel pour une décision d’investissement : la marge de sécurité (P.305).

Mérite le coup d’œil : la préface (P.7) et les appendices (P.319) de Warren Buffett ; le chapitre 8 consacré aux fluctuations des marchés (P.115) ; le chapitre 14 consacré à la sélection des titres chez l’investisseur défensif (P.205).

 

Finance d’entreprise (Pierre Vernimmen, Pascal Quiry, Yann le Fur – Dalloz 2021)

Une somme sans doute un peu aride de prime abord, mais des éclairages concrets et indispensables sur à peu près tous les sujets financiers. 

 

A ne pas manquer : le chapitre 28 - valeur et finance d’entreprise, qui rappelle notamment que "les synergies financières n'existent pas" (P.575).

Mérite le coup d’œil : le chapitre 29 - Les mesures de la création de valeur (P.597) ; le chapitre 33 - la pratique de l’évaluation de l’entreprise (P.671) ; le chapitre 37 - choisir sa structure financière (P.763) ; le chapitre 49 - les LBO (P.1017) et la postface sur la stratégie, pour ne "pas laisser croire que la finance est la fonction la plus importante de l'entreprise" (P.1137).

 

Strategor (Ouvrage collectif – Dunod 2013)

Un grand classique là encore, qui offre un bon panorama de toutes les problématiques de la stratégie d’entreprise.

 

A ne pas manquer : la caractérisation de l’avantage concurrentiel (P.154).

Mérite le coup d’œil : l'analyse de l'environnement du secteur (P.31) ; la conduite du changement (P.604) et le travail du leader (P.657).

Le grand livre de la stratégie (Ouvrage collectif du BCG - Eyrolles 2009)

Ouvrage de stratégie très synthétique, d'un abord peut-être plus simple que le précédent.

A ne pas manquer : Gérer en stratège les ressources financières (P.125).

Mérite le coup d’œil : la préface de Xavier Fontanet (P.9) ; Impulser la croissance (P.83) et Inventer et réinventer encore (P.275).

 

Guide pratique pour reprendre une entreprise (Jean-Marc TARIANT – Eyrolles 2011)

Un point très clair sur la démarche et les options d’un repreneur d’entreprise.

 

A ne pas manquer : les principaux pièges à éviter (P.17).

Mérite le coup d’œil : les facteurs extra-comptables de variation du prix (P.47 à 50).

CITATIONS

CITATIONS

"Avoir des idées définitivement claires dans un environnement définitivement flou est une hallucination"

 (Y. Gattaz – Mes vies d’entrepreneur – Fayard 2006)

 

 

"Se défier du ton d’assurance qu’il est si facile de prendre et si dangereux d’écouter"

(Ch. Coquebert – J. des Mines n° 1 – 09/1794).

 

 

"Comme Eugène SCHUELLER l’avait demandé, je voulais être l’homme du « grand L’Oréal », je voulais faire d’une petite affaire une grande affaire, bouter hors de nos frontières tous nos concurrents étrangers et parvenir un jour, à les battre dans leurs propres pays"

(F. Dalle. P. 84).

 

 

"Si j’avais demandé à mes clients ce qu’ils voulaient, ils auraient répondu : un cheval plus rapide"

(H. Ford).

"Penser est le travail le plus difficile qui soit. C'est pourquoi si peu de gens le font"

(H. Ford)

 

"Même le plus intelligent des investisseurs aura besoin de beaucoup de volonté pour se retenir de suivre l’instinct grégaire de la foule"

(B. Graham - L’investisseur intelligent - Valor Editions 2008).

 

 

"Le capitalisme a cette capacité à maintenir perpétuellement les plus grandes compagnies sur le fil du rasoir"

(B. Gates – cité par D. Ichbiah dans Bill Gates et la saga Microsoft – Pocket 1995).

 

 

"Fais ce qui est juste et ne crains personne"

(R. Würth – Président du groupe Würth AG).

"Il y a quelque chose de pire dans la vie que de ne pas avoir réussi, c'est de ne pas avoir osé"

(T. Roosevelt).

"Une start up n’est pas une entreprise de croissance. Certaines start up ne décollent jamais, la majorité en fait. Une start up, c’est une entreprise bâtie pour la croissance. La différence peut paraître fine mais elle a des conséquences profondes sur la manière de structurer à peu près tout ce qui est important dans le projet d’entreprise"

(J-B. Rudelle P.84).

 

 

"Mais il savait déjà, comme tout entrepreneur, qu’agir de manière "normale" ne le mènerait nulle part"

(S. Forbes - Forbes n°1 oct.-déc. 2017 P.13).

 

 

"Pour réussir (la métamorphose de notre industrie), il faudra combattre chaque jour trois fléaux de notre identité : 1) le fatalisme amer qui est notre ennemi historique, 2) l'intellectualisme et le déni de réalité, qui viennent de notre fond idéaliste, enfin 3) notre tendance tragique à nous disperser et, au premier succès, à nous reposer sur nos modestes lauriers. En bref, il faut tirer froidement et collectivement les leçons de notre histoire récente"

(N. DUFOURCQ - DG de la BPI - La désindustrialisation de la France 1995/2015 - Odile Jacob 2022 P. 83).

 

 

"Moi, je construisais mes boîtes alimentaires avec du monde, des centaines de milliers de factures par an, des ordinateurs de tous les côtés, des camions par dizaines, mais je ne suis pas un manager. Je n’aime pas donner des ordres ni en recevoir, ni exercer un pouvoir sur les autres. Je suis un solitaire, un homme d’affaires"

(M. Arditi - Actualité du conseil en stratégie 3 janvier 2017 – www. Consultor.fr).

 

 

"La paresse intellectuelle, même parmi ceux qui seraient considérés comme sages et profonds, sera toujours une force puissante"

(P. Krugman, cité par J. Tirole – Economie du bien commun – Puf 2018 P. 52).

 

 

"Jeunes, créez donc une entreprise le plus tôt possible si vous possédez les deux conditions indispensables : avoir des qualités d’émission et découvrir le créneau produit-marché porteur, véritable secret stratégique de la création. Et n’attendez pas de descendre inéluctablement cet escalier du risque, spirale aussi infernale que la descente aux Enfers de Dante Alighieri dans la Divine Comédie"

(Y. Gattaz – Economiquement vôtre – Le Cherche Midi 2018 P.34).

 

 

"Quand je dois progresser en terrain inconnu, je me fonds dans le milieu, en suivant la loi de la moindre résistance. Dans la jungle, je suis jungle. Sur l’océan, je suis océan. Dans le désert, je suis désert. Sur la glace, je suis l’ours"

(M. Horn – Vouloir toucher les étoiles – Pocket 2015 P.181).

 

 

"Les politiques et les medias ont presque oublié la première attente des gens : vivre dans un monde meilleur. Cette mission, ce sont les marques qui l’assument aujourd’hui : par le biais de leur publicité, elles prônent un monde plus juste, plus solidaire, plus généreux. C’est la nouvelle tendance"

(J. Séguéla – Playboy 2018 n° 8 P. 54).

 

 

"S’il est relativement aisé de remplacer le dirigeant d’une grande entreprise par un fonctionnaire, le petit patron ne peut être remplacé que par un patron. Fonctionnarisée, son entreprise s’arrêterait très vite. Toute son activité, tout son débrouillage, toute son adaptation quotidienne à une situation sans cesse changeante, toute cette action qui exige des décisions, des risques, des responsabilités ininterrompues est tout le contraire de l’action du salarié, surtout du salarié d’une collectivité.

De toutes les difficultés qu’a rencontrées l’économie communiste russe, celles qui viennent de la suppression du petit commerce, de la petite industrie, de l’artisanat, sont les plus graves, celles qu’elle n’a pas surmontées et qu’elle ne surmontera pas."

(Réponse d’A. Detoeuf à Simone Weil en 1937 – S. Weil – La condition ouvrière – Folio 409 Essais 2002 P.299).

 

 

"Il avait été de mode en Allemagne, bien avant Hitler, d’opposer à la société classique, venue du droit romain (Gesellschaft), monstre froid, agrégat de droits individuels, la bonne vieille communauté du droit germanique (Gemeinschaft), chaude, affective. (…) De Gaulle reprit l’espérance en la changeant de nom : au lieu de la communauté, nous eûmes la participation."

(J. Carbonnier – Droit et passion du droit sous la Vème République – Champs essais 1996 P. 169).

 

 

"Des gens ont écrit que je suis un vantard, mais ils oublient l’essentiel. Je crois en ce que je dis et je livre la marchandise"

(D. Trump P.60).

 

 

"Mon premier mouvement quand je vois quelque chose de scandaleux, c’est de m’indigner ; mon second mouvement est d’en rire : c’est plus difficile, mais plus efficace"

(Maurice Maréchal, fondateur du Canard Enchaîné – Le Canard Enchaîné 101 ans – Seuil 2017 P.5).

 

 

"Oui, pour tracer ce dessin, il m’a fallu une minute… Une minute et cinquante ans !"

(P. Picasso cité par D. Delpiroux et L. Bastard – Etre compagnon aujourd’hui – Editions Privat 2013 P.96).

 

 

"D’après mes propres expériences et de nombreuses observations d’autres entreprises, un management efficace (mesuré par les performances économiques) dépend davantage du bateau dans lequel vous montez que de la force avec laquelle vous ramez (même si l’intelligence et le sens de l’effort aident considérablement dans n’importe quelle entreprise, bonne ou mauvaise). Il y a quelques années, j’ai écrit : "Quand un management réputé brillant s’attaque à une entreprise réputée mauvaise, c’est la réputation de l’entreprise qui demeure intacte". Depuis, rien ne m’a fait changer d’avis sur la question"

(Warren Buffet - Robert P. Miles - Wiley 2004 P.159).

 

 

"Celui qui prend des risques peut perdre, celui qui n’en prend pas perd toujours"

(X. Tartacover, maître d’échecs français du XXème siècle – cité par J.-P. Boyer dans : C’est pas parce qu’ils sont nombreux à avoir tort qu’ils ont raison ! [par ailleurs citation de Coluche] – Les Editions Ecosociété 2019 P. 175).

 

 

"S’il y a bien une chose que je voudrais transmettre, c’est de toujours écouter sa petite musique intérieure"

(A. Cayzac  P.219).

 

 

"De l’ouverture à la fermeture, le magasin ne désemplit pas. Dès l’aube, la clientèle forme sur le trottoir une queue de 50 mètres en trois ou quatre colonnes"

(Reynald Secher - J.-P. Le Roch : de l’exil aux Mousquetaires - ERS 1995 P.103 - au sujet du premier magasin de J.-P. Le Roch, sous enseigne Leclerc, à Issy-les-Moulineaux en 1959).

 

"Je vais vous le dire le secret tout bête de ce que certains ont appelé le « miracle d’Apostrophes » : je ne suis pas écrivain, j’ai du regret de ne pas l’être, mais de cette vieille blessure, profonde, camouflée, je n’ai tiré ni dépit ni aigreur, mais une sincère admiration (qui n’est pas pour autant béate) et une violente curiosité pour toute personne qui a convaincu Gallimard, Fayard, Actes Sud ou Bernard Barrault d’imprimer son nom à côté du leur, sur une couverture de bouquin. Le reste, après n’est que du travail, de la lecture, du jugement. L’essentiel, vous l’avez compris, c’est d’être dans de bonnes dispositions. Je l’étais. J’abandonne parce je le suis moins"

(B. Pivot – Le métier de lire - réponses à Pierre Nora - Editions Le Débat Gallimard 1990 P.27).

 

 

"Il peut y avoir quelques considérations tactiques dans le choix de la route.

Ainsi, si l’on connaît les intentions de son plus dangereux concurrent, et si l’on espère pouvoir marcher plus vite que lui, il y aurait peut-être intérêt à partir sur la même route que lui pour avoir les mêmes conditions.

Dans le cas contraire, il faudrait peut-être partir sur une route différente."

(Eric Tabarly - Victoire en solitaire - Arthaud 1964 P.202).

 

 

"Je donnais la parole aux élèves… L’un d’eux se leva (…), décidé : « je m’appelle Fukui Isamu, je vais avoir vingt ans, je suis dans cette école depuis deux ans, j’ai l’impression de ne rien avoir appris… Que devons-nous faire ? » La traduction tarda (…)

A mon tour d’être embarrassée, quel merveilleux culot ! Je ne pouvais me dédire, ni être impolie, que répondre ?

« Si l’école forme les élèves, la volonté affirmée de l’élève fait évoluer l’école » Soulagement général."

(Ch. Perriand à l’école spéciale de peinture de Kyoto en 1940 – Ch. Perriand – Une vie de création – Odile Jacob 1998 P.168).

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